Mort de Marc Lawrence
Mort Marc Lawrence s'éteintEn soixante ans de carrière à Hollywood, l'acteur a incarné avec brio toute la gamme des méchants.par Philippe GARNIER Dans un article du Daily Variety d'octobre 1949, Marc Lawrence se prétendait déjà l'acteur le plus pourfendu de la planète, avec 39 lames : «Fleuret, couteau à pain, couperet de boucher, pic à glace, épée, cimeterre Ñ je laisse délibérément de côté les armes à feu, pendaisons et autres formes de strangulation.» Exercice apparemment bon pour la santé, puisque l'acteur est mort mardi dans son lit, de causes naturelles. A 95 ans, après 175 films, il était à peine retiré des voitures en 1996, il se faisait encore dessouder dans Gotti, sous les traits cadavériques du mafioso Carlo Gambino.Visage vérolé, cicatrice sous l'oeil gauche, regard fuyant, Lawrence avait une gueule suffisamment sinistre pour pouvoir se permettre de porter un noeud papillon et rester menaçant. Huston l'avait à la bonne, lui faisant jouer Ziggy, l'âme damnée d'Edward G. Robinson dans Key Largo, puis Cobby le bookmaker dans Quand la ville dort, et le faisant retravailler même après son comportement durant le McCarthysme, dans la Lettre du Kremlin, en 1970. Doté d'une personnalité qu'on pourrait qualifier de gluante, il lui suffisait d'entrer dans une pièce pour qu'on ait envie de prendre une douche.Mais cette menace humaine toujours bien sapée était pourtant un acteur de race. Né Max Goldsmith dans le Bronx à New York, il est à Hollywood dès 1932, mis sous contrat à la Columbia, un studio où les durs sont en demande, qu'ils soient à la manque comme chez Capra, ou des vrais comme chez Seiler et autres pourvoyeurs de séries B. En 1939, il figure dans quatorze films et gagne 150 dollars par semaine. Une «connaissance» de son patron Harry Cohn, le chef mafieux Johnny Rosselli, lui aurait dit qu'il faisait le meilleur gangster à l'écran.Pieds joints. C'est à la Fox qu'il laissera sa marque. Hathaway le fait jouer dans Johnny Apollo en face de Tyrone Power, mais lui laisse aussi la chance de montrer qu'il peut être autre chose qu'une fripouille, dans le méconnu The Shepherds of the Hills : il est très touchant en garçon handicapé, cousin de John Wayne dans cette histoire des Appalaches. Pendant la guerre, il est free-lance et la vie est belle : agents doubles, nazis ou chauffeur garde du corps de l'industriel infirme que recherche Alan Ladd dans Tueur à gages. Wellman et Zanuck lui donnent un rôle de choix dans l'Etrange Incident (Libération du 2 décembre), celui de Farnley, le plus enthousiaste des lyncheurs. C'est lui que Henry Fonda démolit au bout d'un comptoir de saloon au tout début la meilleure scène de ce film par ailleurs amidonné de bonnes intentions : il faut voir comment Fonda, après l'avoir étalé d'un coup de poing, lui saute à pieds joints sur la figure.Justesse du lancer. En 1951, le FBI l'accuse d'avoir appartenu au Parti communiste. Lawrence a toujours admis avoir été aux meetings à partir de 1937, «mais surtout pour soulever les gonzesses», dit-il dans sa déposition. Il donne néanmoins des noms et s'exile immédiatement en Italie, plus pour fuir l'ignominie que blackboulé par les studios. Comme Sterling Hayden, son collègue de Quand la ville dort, il regrettera sa mouchardise toute sa vie. Mais il est de retour à Hollywood dès 1963, notamment dans Johnny Cool, où il joue un mafioso déporté. Une de ses apparitions les plus amusantes est dans Les diamants sont éternels (1971), où il est un des trois tueurs en costard sombre qui jettent une fille par la fenêtre, du sixième étage, droit dans la piscine. James Bond apprécie la justesse du lancer. Lawrence réplique, sans expression : «Savais pas qu'il y avait une piscine.»L'acteur a aussi réalisé deux films et pas mal de télévisions, jouant aussi dans d'innombrables feuilletons, dont un mémorable épisode M Squad, avec Lee Marvin. Lawrence jouait un maquereau junkie boutefeu, qui périt dans l'incendie dont il est la cause ! Un rôle fait pour lui.