Manifestation Main-d'oeuvre qualifiée, jetable et peu chère, des stagiaires ont défilé hier à Paris pour dénoncer la précarité de leur situation et les abus des entreprises. Ce qui s'est passé hier près de l'Ecole militaire à Paris pourrait n'être qu'un buzz médiatique. Une cinquantaine de jeunes fringués de noir, masqués de blanc, et qui défilent en silence sous le slogan : «Stagiaire d'un jour, stagiaire toujours», face à une armée de caméras. Ils dénoncent le «contournement» de ce qui devrait n'être qu'un sas vers le monde du travail : le stage. Mais qui est devenu un vivier de main-d'oeuvre jetable et hypermotivée. «Sans contrat, sans salaire, sans droits», résume une banderole. C'est avant tout une «illustration de plus de la précarité généralisée et entretenue, où les emplois stables sont attaqués», résume Mylène, d'AC ! (Agir ensemble contre le chômage). Mouvement médiatisé mais phénomène de société, assurément. «Sur le million de conventions de stage chaque année en France, 80 % sont gratos», estime Damien, «avocat-stagiaire». Pas un «stagiaire-machine à café», pas un «stagiaire-photocopieuse», dit-il, mais un stagiaire «compétent et productif». Et pourtant «taillable et corvéable à merci». Sur le même sujet VERBATIM • «On bosse sur fond de chantage implicite et permanent.» Enquête sur une génération sacrifiée «Nous voulons négocier un statut» «Payer pour travailler.» Comme Sarah, 25 ans, traductrice, sept mois de stages pour 650 euros en tout à la Commission européenne et à l'Unesco. Pas dans une de ces boîtes de traduction pour DVD qui proposaient, dans son école, des «jobs de six mois non rémunérés»... Elle est venue par solidarité avec tous les autres, ceux qui n'osent pas dire que «bientôt il faudra payer pour travailler» ou «applaudir quand on vous donne des tickets-restau». Julien, lui, est venu hurler sa colère : à 26 ans, deux écoles de commerce, trois ans de stages, il vient de claquer la porte d'un grand assureur. Où, pendant six mois à 600 euros net, il endossait le rôle d'adjoint de direction. «J'ai craqué. Je trie du courrier en intérim.» Jérémy, lui, en est à huit mois payés 25 % du Smic pour une chaîne du câble. Il dit : «Le contrat nouvelles embauches, c'est presque du luxe !» Et prévient : «On est encore peu, parce que les stagiaires ont peur de parler et d'être virés. Mais une prise de conscience naît.» «Silence». A l'origine, il y a Cathy, 32 ans, DESS en projets culturels. Début septembre, elle «googlise» deux mots sur son ordi : «stagiaire» et «abus». Résultat : 51 000 références hier. «Je me suis aperçue que je n'étais pas la seule à souffrir dans un no man's land», sourit-elle. Elle lance un appel à la grève sur son blog, monte un collectif, Génération précaire, et un site du même nom (1). Qui capitalise : 15 000 visiteurs uniques en un mois. Hier, le mouvement inaugurait un mois d'actions, avant une «manif nationale» prévue le 24. «Les offres de stage remplacent les offres d'emploi», dit-elle. Aujourd'hui, Génération précaire a monté sept pôles politique, économique, juridique, témoignages, médias, Internet, mobilisation et planche, raconte Lionel, 30 ans, sur un vrai statut ­ rémunération obligatoire, limitation de la durée du stage, quotas de stagiaires par rapport à la masse salariale, etc. et cherche des relais : «Les syndicats sont d'un silence désespérant dès qu'il ne s'agit pas d'emplois fixes...» «C'est l'"armée de l'ombre", souffle un journaliste d'une télé «stagiophage». Il veut «un peu de lumière» sur un vide juridique et une exploitation économique.