Annonce L'Ossétie enterre par centaines les victimes du massacre de Beslan Un nouveau bilan officiel des combats qui ont opposé les forces russes au commando terroriste, qui avait pris en otages plus d'un millier de personnes dans une école d'Ossétie du Nord, fait état de 338 morts et 191 disparus. Sur place, les habitants parlent de 500 à 600 tués. A Vladikavkaz, ville voisine, un employé de la morgue dit avoir décompté 394 corps. Dès dimanche, la population a commencé à enterrer ses morts, manifestant une exaspération croissante envers le manque d'explications des autorités russes et une haine renouvelée envers leurs voisins ingouches et tchétchènes. Vladimir Poutine, samedi, a annoncé un durcissement de sa politique, promettant un renforcement des services de sécurité. Le président, sans évoquer la guerre de Tchétchénie, a dénoncé l'"agression du terrorisme international". Beslan (Ossétie du Nord) de notre envoyée spéciale Une partie du champ a été aplani par des bulldozers. De longues rangées de piquet en bois blanc indiquent l'emplacement des prochaines tombes à creuser. L'espace prévu pour enterrer les victimes de la prise d'otages de Beslan, en lisière du cimetière municipal, peut contenir au moins cinq cent tombes. Ce nombre de morts est devenu, pour les habitants, une évidence, même s'il reste une évaluation. "Vous ne pouvez pas vous imaginer l'ampleur de cette tragédie pour nous", murmurait, au lendemain des combats féroces dans le centre de la bourgade, un ingénieur en informatique, âgé d'une cinquantaine d'années, assis avec des proches autour d'une table rituelle familiale, où les toasts à la vodka se succédaient dans une grande solennité, à la mémoire des disparus et à l'avenir des survivants. LONGUE LAMENTATION La protection de "Dieu" et de "Saint-Georges", est invoquée par les Ossètes, plus que jamais convaincus d'être ce petit peuple à majorité chrétienne orthodoxe, de langue affiliée au persan, vivant depuis des siècles de part et d'autre des grands cols contrôlant le franchissement des majestueux monts du Caucase, et aux prises avec des voisins musulmans manifestant à leur égard - du moins la conviction en est-elle maintenant irréversiblement ancrée - une agressivité meurtrière. "Dans ce quartier, le quartier de la rue du Komintern, ajoutait l'ingénieur, la voix étranglée, il n'y a pas une famille qui ne soit en deuil." Et de fait, dès le matin, ce dimanche 6 septembre, dans ces cours de maisons basses ombragées par de la vigne, c'est une longue lamentation de sanglots de femmes et d'hommes qui monte, qui s'amplifie, comme un chœur. Les cortèges funéraires, bientôt, se mettent en route vers le cimetière, dans un long embouteillage. Les chiffres donnés par les officiels russes ont été brusquement révisés à la hausse, deux jours après le dénouement de la crise. Les télévisions d'Etat - étroitement contrôlées par le Kremlin et dont les reportages mettent l'accent sur la mobilisation nationale face à la "guerre totale contre la terreur" et les messages de soutien à la "Russie attaquée" parvenant de l'étranger - font état désormais de 338 cadavres identifiés, 191 disparus, et 435 blessés. "CES INCAPABLES..." Le nombre des personnes séquestrées par le commando armé dans l'école "N° 1" est brusquement passé, dans les comptes rendus officiels, de 354 à 1181, sans que le moindre responsable politique ne daigne s'expliquer sur l'évidente tentative de minimiser le drame par la désinformation. "Enfin, ces incapables qui sont au pouvoir cessent un peu de mentir", commentent sèchement des membres d'une famille endeuillée, marchant derrière un autobus où le cercueil ouvert d'un petit garçon, Alan, d'une dizaine d'années, était déposé. Pendant ce temps, dans les morgues de la région, dans les hôpitaux, des centaines de parents effarés errent, en quête de leurs disparus. Dix-huit enterrements ont eu lieu dimanche dans le cimetière principal de Beslan, et ce n'est bien évidemment que le début d'une longue série de cérémonies, qui plonge la population dans la stupeur. Au son d'une lente mélodie jouée par un orchestre de clarinettes et de trompettes, les cercueils sont mis en terre. Les visages des morts, certains ceints de bandeaux blancs, entourés de dentelles et de petites icônes, sont embrassés par des proches en pleurs. Des femmes hurlent, étreignent les corps d'enfants. Plus loin, des hommes continuent de creuser à la pelle les prochains trous, dans la terre glaiseuse et noire. Sur le chemin du retour, dans une camionnette transportant un groupe d'hommes ossètes aux visages fermés, une conversation s'engage. Le véhicule vient de franchir une intersection routière, où un panneau à droite, indique la direction vers "Grozny", la capitale tchétchène, et un autre, à gauche, "Tskhinvali", le chef-lieu de la République autoproclamée indépendante d'Ossétie du sud, où un conflit s'est récemment ravivé avec les troupes de la Géorgie voisine. "Ces Tchétchènes, il y a longtemps qu'on aurait dû en finir avec eux", dit un passager. "L'armée aurait dû les bombarder jusqu'au bout, pour qu'il n'en reste plus un", opine son voisin. Un troisième ajoute, sans que personne ne le contredise : "Mais ça, les militaires ne le veulent pas. Ils auraient pu attraper Maskhadov et Bassaev depuis longtemps, en deux jours ! Non : ils font durer la guerre, pour toucher leurs budgets". "POURQUOI NOUS MENT-ON ?" "Que pensez-vous, vous qui êtes informés ?, demande plus tard, une femme endeuillée à des journalistes occidentaux. Y a-t-il eu un assaut ? Pourquoi tant d'enfants sont-ils morts ? Pourquoi nous ment-on ?" Le soir, la télévision d'Etat diffuse en boucle les déclarations de Vladimir Poutine. Le présentateur dit en conclusion : "Nous devons restés unis. C'est une guerre. N'y soyez pas indifférents. Nous vaincrons." Les habitants ossètes regardent sur leurs petits écrans des chefs du FSB, les services secrets russes, ainsi que des responsables médicaux, intervenir sans relâche pour insister : "Nos forces ont été contraintes d'attaquer, car les terroristes tiraient sur les otages", "Les combats ont éclaté par hasard", "L'explosion a été spontanée et inattendue". Certains habitants, dans l'intimité de leurs foyers, soucieux de ne pas manifester en public un patriotisme défaillant, se disaient sceptiques quant à ces propos officiels. Natalie Nougayrède Deux jours de deuil dans tout le pays La Russie a mis ses drapeaux en berne lundi 6 septembre, premier jour d'un deuil national qui devait se poursuivre mardi, en hommage aux victimes de la prise d'otages de Beslan. La télévision d'Etat russe a appelé, dans un clip régulièrement rediffusé, la population à une grande "manifestation de solidarité contre le terrorisme", mardi après-midi à Moscou. Les chaînes nationales ont consacré, dès les premières heures de la matinée, des émissions spéciales au drame qui a mis le pays en état de choc. les programmes de divertissement seront supprimés à la télévision durant ces deux jours. Lundi matin, la présentatrice de la tranche du matin de la première chaîne était vêtue de noir, et la chaîne diffusait régulièrement un montage d'images de victimes, au ralenti, sur fond de musique classique. Dès dimanche, le patriarche de l'Eglise orthodoxe russe Alexis II avait demandé aux prêtres de faire prier pour les victimes. - (AFP, Reuters.)