Mort de Lorraine Hunt
Mort Lorraine Hunt, mezzo-soprano nord-américaineLa mezzo-soprano nord-américaine Lorraine Hunt Lieberson vient de mourir d'un cancer, le 3 juillet, à Santa Fe (Nouveau-Mexique, Etats-Unis). Elle était âgée de 52 ans.En dépit d'une voix, qui n'avait pas le moindre mal à remplir la vaste salle du Metropolitan Opera de New York, elle n'aura chanté qu'à deux reprises dans ce temple de l'art lyrique : dans l'opéra The Great Gatsby, du compositeur contemporain John Harbison (Le Monde du 28 décembre 1999), où elle incarnait Myrtle, un personnage à la mort tragique, pour lequel Harbison a écrit une scène d'anthologie, et, en 2003, dans Les Troyens de Berlioz, le rôle de Didon.Les Français connaissaient bien l'artiste, qui était apparue dans des spectacles, où sa stature vocale et physique de tragédienne se distinguait. William Christie, qui a souvent travaillé avec elle, lui a confié le rôle-titre de l'opéra Médée de Marc-Antoine Charpentier, sur la scène de l'Opéra-Comique, dans une mise en scène de Jean-Marie Villégier en 1993, puis au disque, pour sa deuxième version de l'oeuvre, enregistrée pour Erato.On se souvient aussi avec émotion de cette Phèdre, dans Hippolyte et Aricie, de Rameau, qu'elle incarnait sur la scène du Palais Garnier, dans une mise en scène également signée Villégier en 1996, et de son air "Cruelle mère des amours", chanté avec une douleur de chair presque insupportable d'intensité. Seule Jessye Norman avait su colorer ce rôle d'incestueuse de la même force mortifère, au Festival d'Aix-en-Provence, en 1983, dans la production de Pierluigi Pizzi dirigée par John-Eliot Gardiner.A Aix-en-Provence, elle avait fait, en 1999, une apparition mémorable : avançant lentement du fond de scène dans une robe de grand deuil, elle était Octavie, l'épouse répudiée accablée d'un chagrin mutique, dans Le Couronnement de Poppée, de Monteverdi, monté de manière sépulcrale par Klaus-Michael Grüber. Elle participera, quelques mois plus tard, à la création de The Great Gatsby, à New York, et se retirera pour se soigner, avant son retour dans El Nino, de John Adams, créé au Théâtre du Châtelet, à la Noël 2000.Lorraine Hunt (devenue Lorraine Hunt Lieberson après son mariage avec le compositeur américain Peter Lieberson) naît le 1er mars 1954, à San Francisco. Son père enseigne la musique et sa mère est professeur de chant. Elle apprend le piano puis le violon et se met plus tard à l'alto. Elle pratique l'instrument professionnellement jusqu'à ce qu'elle découvre, à 26 ans, que son gosier lui offre un moyen d'expression et un avenir professionnel plus riches.Lorraine Hunt n'aura chanté que pendant quelque vingt années, interrompues deux fois par la maladie. Beaucoup d'auditeurs américains se souviennent d'avoir eu la chance d'entendre sa Mélisande, dans Pelléas et Mélisande de Debussy, donné en concert avec l'Orchestre symphonique de Boston, sous la direction de Bernard Haitink. C'est avec cet orchestre qu'elle paraîtra pour la dernière fois en public, en mars 2006.Beaucoup savaient ses graves ennuis de santé. Ils furent d'autant plus interdits lorsqu'elle apparut, en 2001, à la Cité de la musique à Paris, dans un spectacle donné deux fois seulement devant une salle archicomble, mis en scène par son ami Peter Sellars, avec lequel elle avait fait ses débuts sur scène en 1985 : elle chantait deux cantates dont les textes avaient, dits par elle, une signification particulièrement incarnée : Ich habe genug ("C'en est assez") et Mein Herz schwimmt in Blut ("Mon coeur baigne dans le sang").ACTRICE NÉEElle apparaissait sur un lit d'hôpital, en chemise de malade et en chaussettes, bardée de tubes et de drains. On se souvient encore, cinq ans plus tard, du silence épais de la salle. Pour ces deux partitions, elle était accompagnée par Craig Smith, avec lequel elle avait régulièrement, en sa jeunesse, interprété en tant qu'instrumentiste, puis chanteuse, des cantates de Bach dans un groupe bostonien qui comptait en ses rangs beaucoup des futurs partenaires réguliers des spectacles de Peter Sellars et dont ce chef dirigera la première trilogie Mozart/Da Ponte du metteur en scène américain. La mezzo qui avait dédié ce spectacle à la mémoire de sa jeune soeur, également emportée par un cancer, a enregistré ces deux cantates pour le label Nonesuch.Pour Harmonia Mundi, Lorraine Hunt Lieberson a enregistré des opéras, des oratorios et des airs de Haendel notamment, sous la direction de Nicholas McGegan, et l'Octavie du Couronnement de Poppée, de Monteverdi, sous celle de René Jacobs. Pour Erato, elle aura été la Phèdre de Rameau et la Médée de Charpentier, avec, dans les deux cas, le soutien de William Christie.Cette femme intelligente, formidable musicienne, actrice née, particulièrement à l'aise dans les rôles de victimes sacrificielles, habillait son humour du noir qui lui sied si bien : elle devait dire, après avoir chanté lors d'un même concert la Jocaste de Stravinsky et la Phèdre de Britten : "Deux suicides en une soirée : c'est tout à fait pour moi."On ne peut s'empêcher de se souvenir aussi que Britten avait écrit le rôle d'une autre suicidée, dans Le Viol de Lucrèce, pour Kathleen Ferrier, autre voix d'exception, autre jeune tragédienne au destin météorique, emportée par la même maladie.