Mort de Liu Binyan
Mort Liu Binyan, écrivain et journaliste dissident chinoisL'écrivain et journaliste dissident chinois Liu Binyan lors d'une réunion sur les droits de l'homme en Chine, à Washington, le 28 octobre 1997.L'écrivain et journaliste dissident chinois Liu Binyan est mort d'un cancer, lundi 5 décembre, dans l'Etat de New Jersey à l'âge de 80 ans.Exilé aux Etats-Unis depuis la répression du printemps démocratique de 1989, Liu Binyan restera dans l'histoire des lettres chinoises comme le maître incontesté de la "littérature de reportage" corrosive et audacieuse, portant la plume dans les plaies politiques et sociales d'une Chine rouge à laquelle il aura tenté de croire jusqu'au bout.Né le 15 janvier 1925 à Changchun (Nord-Est), Liu Binyan a hérité sa foi marxiste d'un père russophone employé comme interprète sur le chemin de fer transmandchourien, poste qu'il perdra lorsque l'armée japonaise envahira la Chine du Nord. Privé d'école en raison de la déchéance de sa famille, Liu Binyan dévore tôt néanmoins les oeuvres de Tolstoï et Dostoïevski, lectures précoces qui inspireront à la fois sa vocation d'écrivain et son admiration pour la Russie.Entré au Parti communiste en 1944 à l'âge de 19 ans, il est à Harbin (province du Heilongjiang) quand la reprise de la guerre civile consécutive à la défaite du Japon voit l'inexorable progression des bases rouges en Mandchourie.Après la victoire de Mao en 1949, Liu devient journaliste au Quotidien de la jeunesse de Chine, l'organe de la Ligue de la jeunesse communiste. Lors d'un voyage en Russie soviétique en 1951, il est glacé par l'atmosphère étouffante du stalinisme mais le dégel krouchtchévien le convainc ensuite que le communisme réformé reste porteur d'espoir.C'est l'époque où son amitié avec l'écrivain russe Ovetchkine, dénonciateur des excès du stalinisme, oriente son évolution vers le style de la "littérature de reportage" dont la mission est de pointer les travers du système pour mieux le redresser de l'intérieur. Après l'appel de Mao en 1956 à faire éclore les Cent Fleurs, Liu Binyan publie les Nouvelles confidentielles de notre journal, plaidoyer en faveur de la libération des plumes de journalistes au nom de la juste cause du socialisme. Le récit fait sensation. Mais comme beaucoup d'intellectuels à cette époque, Liu sera broyé par le retour de bâton qui suit le piège des Cent Fleurs. Taxé de "droitier", il devient un paria, relégué dans un exil intérieur de vingt ans, particulièrement humilié durant la Révolution culturelle.Lorsque la Chine s'arrache du maoïsme à la fin des années 1970, il est réhabilité par la nouvelle équipe de dirigeants réformateurs et devient une figure du Quotidien du peuple. Il reprend le flambeau de cette "littérature de reportage" dont il reste convaincu qu'elle doit aider le parti à se purger de l'intérieur de toutes ses déviances.Entre hommes et démons, enquête sur un réseau de corruption locale dans la province du Heilongjiang, l'installe dans la posture de la "conscience de la Chine", écrivain justicier, figure d'intégrité que le petit peuple victime des abus de pouvoir des cadres locaux submerge de cahiers de doléances. "Sa position correspond en somme à celle du censeur de la Chine ancienne, cet envoyé spécial de l'Empereur qui fait connaître au souverain les abus de pouvoir des fonctionnaires dépravés", écrit Jean-Philippe Béja, le traducteur de Liu Binyan, dans sa préface au Cauchemar des mandarins rouges (Gallimard), le seul recueil de textes parus en France.Une nouvelle fois, les illusions ne dureront pas. Liu Binyan devient gênant. Il ne résistera pas longtemps au raidissement conservateur du régime qui culminera en juin 1989 avec la sanglante répression de Tiananmen. De passage aux Etats-Unis lors du drame, Liu Binyan y restera, condamné à un second exil, extérieur celui-là, d'où il posera au Cassandre fustigeant l'arbitraire politique, l'injustice sociale et la trahison des clercs ralliés au mirage de l'économisme triomphant