Procès L'ex-officier argentin Scilingo, jugé à Madrid, se contredit Il affirme aujourd'hui que ses confessions antérieures sur la torture étaient "inventées". Madrid de notre correspondante Depuis lundi 24 janvier, les témoins se succèdent au procès d'Adolfo Scilingo, l'ex-capitaine de corvette argentin jugé à Madrid pour des crimes de génocide, actes de terrorisme, assassinats, tortures, commis durant la dictature en Argentine (1976-1983). Le premier a été le journaliste argentin, Horacio Verbitski, auteur du livre El Vuelo ("le vol"), fondé sur les entretiens qu'il avait eus entre décembre 1994 et février 1995 avec l'ancien militaire. Il a raconté comment il a rencontré Adolfo Scilingo dans le métro, à Buenos Aires, en 1994, indigné parce qu'à la suite d'articles que le journaliste avait publiés, révélant les liens entre deux de ses camarades et la disparition, en décembre 1977, de deux religieuses françaises, Alice Domond et Léonie Duquet, ces deux hommes s'étaient vu refuser une promotion. "Nous avons fait des choses terribles, pires que les nazis. C'est injuste. Pourquoi certains payent et d'autres pas alors que nous avons tous fait la même chose ?" lui aurait alors déclaré Adolfo Scilingo. A la suite de cette rencontre, a expliqué M. Verbitski, ils se sont revus une dizaine de fois. "Il se disait détruit par ce qu'il avait fait" et n'avait "trouvé de remède ni dans la religion, ni dans l'alcool", a poursuivi le journaliste, insistant sur les cauchemars d'Adolfo Scilingo depuis les deux "vols de la mort" auxquels il disait avoir participé, ayant lui-même jeté à la mer trente personnes. M. Verbitski a assuré n'avoir jamais douté de la véracité des propos de M. Scilingo et a remis à la cour une lettre que l'ex-militaire lui a envoyée, en mars 2004, cinq ans après s'être rétracté devant le juge Baltasar Garzon. "L'homme qui m'a envoyé cette lettre est celui que j'ai connu, luttant pour récupérer sa dignité et non cet acteur comique que l'on a vu ici", a dit le journaliste par allusion à l'attitude de l'accusé la semaine dernière, arrivant à moitié mourant au tribunal puis, deux jours plus tard, parlant tellement que le président du tribunal a dû lui ordonner de se taire. Adolfo Scilingo a affirmé être venu en Espagne et s'être "auto-inculpé" pour aider la justice espagnole à enquêter sur les crimes de la dictature. Il affirme donc que tout ce qu'il a pu raconter au juge Garzon sur les "vols de la mort", sur les asados, les corps incinérés des détenus morts sous la torture, sur les fondeos, ceux qui ont été jetés au fond d'un fleuve, une pierre accrochée au cou, ou sur les enfants des prisonnières donnés en adoption à des familles de militaires, il l'a inventé ou lu dans la presse. Et de s'exclamer : "On m'a demandé d'inventer la plus grande fadaise du monde pour aider le juge Garzon, alors bien sûr que c'est faux !" "Quand dites-vous la vérité ?" lui a demandé un avocat de l'accusation. Réponse sans appel : "Quand c'est dans mon intérêt." Il a également reconnu devant le ministère public qu'il a commencé à changer sa version des faits quand il a compris que le juge Garzon allait le mettre en accusation. D'autres témoins sont venus dire comment l'ex-capitaine de corvette leur avait parlé de ce qui se passait à l'Ecole mécanique de l'armée (ESMA) et de sa participation aux "vols de la mort." Le journaliste de la télévision publique espagnole, Vicente Romero, qui a enregistré deux entretiens avec Adolfo Scilingo, en 1996, en Argentine, puis en 1997, en Espagne, s'est dit convaincu, mardi, qu'Adolfo Scilingo "avait besoin de se confesser" et avait fait preuve devant la caméra d'une "sincérité saisissante". Le procureur de la ville de Bahia Blanca, Hugo Canon, qui a enquêté sur les disparus, a remis au tribunal une cassette vidéo d'un autre programme de télévision où Adolfo Scilingo tenait les mêmes propos. Il a également mentionné l'antisémitisme qui a pesé pendant la dictature, ce qu'a confirmé le rabbin Ernesto Daniel, qui a mentionné "des tortures additionnelles" appliquées aux prisonniers juifs.