Procès L'ex-avocat de l'héritière d'un casino niçois comparaît pour "assassinat" Sept juges d'instruction, vingt-neuf ans de tergiversations judiciaires, pas de cadavre. Avec la comparution de l'ancien avocat Maurice Agnelet devant la cour d'assises des Alpes-Maritimes à partir du jeudi 23 novembre et pour une durée prévue de quatre semaines, s'ouvre le procès d'une fascinante énigme criminelle. Renée Le Roux, la mère d'Agnès, ou le combat d'une vie A 85 ans, Renée Le Roux n'attend qu'une chose : regarder "dans les yeux" l'homme qui est accusé de l'assassinat de sa fille. L'ex-dirigeante du Palais de la Méditerranée n'a jamais renoncé à son combat pour connaître la vérité sur la disparition de sa fille Agnès. "C'est le combat d'une vie", dit-elle. Longtemps, cet ancien mannequin de Balenciaga, devenue femme d'affaires après la mort de son mari, a cru se battre contre des moulins. Elle s'est heurtée, estime-t-elle, à "des juges pressés d'enterrer l'affaire". Elle n'a repris espoir qu'avec la désignation du juge Richard Rolland. Son exceptionnelle ténacité a fini par payer : la justice l'a suivie. En quelques lignes, les juges de la chambre de l'instruction le reconnaissent, qui rendent hommage à cette femme sans laquelle l'affaire Agnès Le Roux aurait été définitivement enterrée : "Par son acharnement, écrivent-ils, elle n'a cessé de mettre en oeuvre les procédures afin de rechercher sa fille." [-] fermer En 1977, Agnès Le Roux, belle jeune femme de 29 ans, se trouve au coeur de la guerre des casinos niçois. L'"empereur des tapis verts", Jean-Dominique Fratoni, PDG du casino Ruhl, tente de récupérer le Palais de la Méditerranée, que dirige, depuis son veuvage, la mère d'Agnès, Renée Le Roux. Entre les deux femmes, les relations sont empoisonnées par des questions d'argent et par la liaison qu'entretient Agnès avec l'avocat Maurice Agnelet. Sur les conseils de son amant, Agnès le Roux vend ses parts du Palais de la Méditerranée pour un montant de 3 millions de francs (457 326 euros) au profit de Fratoni. La somme sera ensuite récupérée par M. Agnelet, chargé de la transaction. A la Toussaint 1977, Agnès, qui a prévu de partir quelques jours avec Maurice Agnelet, disparaît seule au volant de sa Range Rover. Personne ne l'a vue partir. Après plusieurs semaines sans nouvelles de sa fille, Renée le Roux s'inquiète et dépose plainte pour "séquestration". "RECEL DE CADAVRE" L'enquête débute le 7 mars 1978, quand deux inspecteurs de la police judiciaire perquisitionnent l'appartement d'Agnès Le Roux, à Nice (Alpes-Maritimes). Ils y découvrent un message manuscrit de la jeune femme : "Désolée. Mon chemin est fini. Je m'arrête là. Tout est bien. Je veux que ce soit Maurice qui s'occupe de tout." L'hypothèse du suicide est rapidement écartée. Parmi les proches, les enquêteurs s'intéressent à M. Agnelet, dont le comportement leur paraît étrange. Mais l'avocat ne sera entendu, sur le fond, par la police judiciaire, qu'en septembre 1978, près d'un an après la disparition. Devant les enquêteurs, il nie être l'amant d'Agnès. A son cabinet, ceux-ci retrouvent pourtant, outre le journal intime de la jeune femme, la photocopie du mot manuscrit. Avec une différence majeure : le haut du papier a été coupé pour faire disparaître la date. Lors de la perquisition, la tension est extrême. Face au juge qui lui demande : "Qu'avez-vous fait d'Agnès Le Roux ?", Maurice Agnelet, livide, manque de s'effondrer. Puis il se reprend : "Je n'ai pas tué Agnès Le Roux." Longtemps chargé du dossier, l'ancien inspecteur de la police judiciaire Michel Laffargue confiera au Monde : "A ce moment précis, le magistrat, qui pouvait le faire incarcérer, l'a relâché." Renée Le Roux a une autre interprétation : "Agnelet, qui était vénérable au Grand Orient, a profité des protections de certains réseaux francs-maçons." M. Agnelet a refait sa vie au Canada, où sa maîtresse, Françoise Lausseure, l'a rejoint et épousé. Le 13 août 1983, la justice le rattrape. Arrêté, il est mis en examen pour "homicide volontaire". Deux ans plus tard, il bénéficie d'un non-lieu, confirmé en appel en 1986. La cour relève de "très sérieuses présomptions", mais, en l'absence de cadavre, conclut à l'absence de preuve. "A l'époque, souligne Me François Saint-Pierre, l'un de ses avocats, il n'existait pas, pas plus qu'aujourd'hui, d'élément matériel qui établisse le décès d'Agnès Le Roux, son meurtre et la participation de Maurice Agnelet." L'affaire criminelle paraît définitivement classée. Reste le délit lié au détournement de l'argent de l'héritière, qui vaut à l'avocat sa radiation du barreau de Nice et une condamnation, en 1990, à trente mois de prison. Renée Le Roux, elle, continue de lutter. Malgré le non-lieu, elle fait déposer une nouvelle plainte pour "recel de cadavre". Cette astuce juridique, qui permet de rouvrir l'enquête grâce à la non-prescription de ce délit connexe, provoque un coup de théâtre. Interrogée une nouvelle fois par les enquêteurs, Françoise Lausseure, qui entre-temps s'est séparée de M. Agnelet, revient sur son témoignage. Contrairement à ce qu'elle avait toujours soutenu, elle affirme qu'elle n'était pas avec lui dans un hôtel de Genève, la nuit de la disparition d'Agnès Le Roux. "J'ai menti", dit-elle, en précisant que "c'est Agnelet qui a sollicité ce faux témoignage". Cet élément nouveau permet à la cour d'appel d'Aix-en-Provence d'ordonner, le 7 décembre 2000, la réouverture de l'instruction du chef d'homicide volontaire. Les investigations sont relancées par le septième juge d'instruction, Richard Rolland. En octobre 2005, presque vingt-huit ans jour pour jour après la disparition d'Agnès Le Roux, M. Agnelet apprend son renvoi devant la cour d'assises, sous l'accusation d'assassinat.