Annonce L'Europe ouvre de nouvelles fenêtres sur Vénus Cinq mois à peine séparent la Terre de sa soeur qui a mal tourné. C'est le temps qu'a mis la sonde Venus Express, lancée le 9 novembre 2005, du cosmodrome de Baïkonour (Kazakhstan), pour parvenir au point crucial de son insertion en orbite autour de Vénus, prévue mardi 11 avril. Ce bref voyage doit permettre à l'Europe de poser à son tour les questions auxquelles tant d'engins d'exploration soviétiques et américains ont tenté de répondre. Pourquoi deux astres de la même famille des planètes telluriques, que leur situation dans le système solaire et leur morphologie rapprochent encore, ont-ils à ce point été éloignés par l'existence ? Comment l'un a-t-il pu réunir les conditions nécessaires à l'émergence de la vie tandis que l'autre semblait voué à la damnation d'un milieu brûlant et irrespirable ? Références La mission. Entre la conception et le lancement de Venus Express, un délai, exceptionnellement bref, de quatre années s'est écoulé. Jumelle de Mars Express, la sonde reprend en effet plusieurs instruments de ce vaisseau ainsi que d'autres envoyés vers une comète à bord de Rosetta. Grâce à ce "recyclage", son coût est réduit : 220 millions d'euros contre 1 milliard pour Rosetta. La durée. Venus Express doit étudier la planète durant au moins deux rotations complètes, soit 486 jours terrestres. La cible. Le diamètre (12 756 km), la masse et la gravité de Vénus sont légèrement inférieurs à ceux de la Terre. En revanche, la température moyenne de la surface est de 465 ºC (15 ºC sur la Terre) et la pression au sol de 90 bars, contre 1 bar sur la Terre. [-] fermer Pour se livrer à cet exercice de planétologie comparée, l'Agence spatiale européenne (ESA) doit encore réussir son examen d'entrée sur Vénus. Mardi matin, au cours de manoeuvres qui ne tolèrent pas la moindre imprécision, Venus Express doit être freinée durant 50 minutes par son moteur principal, afin de se laisser capter par l'attraction de la planète. Si tout se passe bien lors de cette phase risquée, d'autres mises à feu des propulseurs permettront, au cours des semaines suivantes, de placer la sonde sur son orbite finale, polaire et très allongée. Début mai, Venus Express survolera au plus proche les régions du pôle Nord, à 250 km d'altitude. Puis elle s'éloignera pour observer, à l'apogée de son orbite, l'hémisphère Sud, à 66 000 km de distance. Un tour complet de la planète lui prendra vingt-quatre heures. De son côté, Vénus ne s'offrira que très languissamment à la fouille des sept appareils d'observation embarqués. L'étoile du Berger ne boucle en effet un tour sur elle-même qu'en deux cent quarante-trois jours terrestres, dans un sens dit rétrograde (inverse des aiguilles d'une montre), peu commun dans le système solaire. Cette léthargie, toujours inexpliquée, a longtemps été dissimulée aux astronomes par l'hyperactivité de l'atmosphère, parcourue de vents qui peuvent dépasser les 400 km/h, et qui peut faire le tour du globe en quatre jours. Mais l'atmosphère ne déroute pas seulement l'observateur par cette super-rotation en trompe-l'oeil. Dense, opaque, elle voile la surface de la planète autant qu'elle y entretient une température intenable (465 °C) par effet de serre. Elle est ainsi à la fois le principal ressort du drame vénusien et le rideau qui le cache. Pour se faire une idée de la scène, Soviétiques et Américains avaient usé de stratégies complémentaires. Les premiers avaient tenté de passer sous ce rideau avec les sondes Venera, dont certaines réussirent à envoyer des images du sol. Les seconds ont palpé les décors à tâtons, grâce à l'usage du radar. La sonde Magellan, dernier vaisseau à s'être placé en orbite autour de Vénus, a ainsi pu dresser, de 1990 à 1994, une cartographie complète de ses reliefs. Les Européens, eux, ont choisi de se consacrer principalement à l'étude du rideau atmosphérique lui-même. Plusieurs appareils analyseront sa composition, ses interactions avec le vent solaire, ses nuages d'acide, ses tempêtes et leurs éventuels éclairs. Les scientifiques de Venus Express ne renonceront pas pour autant à profiter de tous les interstices pour couler un oeil jusqu'à la surface. Pour cela, ils savent que la chaleur et la nuit de Vénus peuvent être leurs alliées. Au début des années 1980, deux astronomes ont montré que l'on pouvait apercevoir de la Terre le très intense rayonnement infrarouge de la planète, au moins sur sa face nocturne. Ces émissions de la surface et la basse atmosphère, en quelque sorte "chauffées au rouge", peuvent traverser le rideau de dioxyde de carbone à trois longueurs d'onde très précises. Lorsqu'elles ne sont pas obstruées par des nuages, ces "fenêtres" ouvrent sur les zones les plus profondes, et les plus méconnues, de Vénus. En 1990, le passage rapproché de la sonde Galileo, sur sa route vers Jupiter, avait confirmé ce fait en quelques clichés saisissants. "Nous étions alors à la fois excités par les possibilités que cela ouvrait et frustrés de ne pouvoir en profiter tout de suite", se souvient Pierre Drossart (Observatoire de Meudon), coresponsable du spectromètre Virtis, qui exploitera le phénomène. "La possibilité de mener enfin cette étude justifie à elle seule la mission de Venus Express", ajoute Jean-Loup Bertaux, du service d'aéronomie du CNRS, responsable de l'instrument Spicav. En profitant des trous dans la couverture nuageuse, Virtis pourra établir une carte des températures de la surface. La comparaison avec celle des reliefs pourra faire apparaître d'éventuels "points chauds" qui trahiront peut-être la présence de volcans en éruption. Ces observations trancheraient ainsi les polémiques sur l'appartenance de la planète au club très fermé des astres à volcanisme actif. Avec d'autres, elles permettraient de mieux saisir le dévoiement de Vénus.