Manifestation L'est de l'Allemagne se mobilise contre les réformes sociales :Fort chômage, sentiment d'être des "citoyens de seconde zone"... Les frustrations nées de la réunification nourrissent les "manifestations du lundi", répliques de celles qui, en 1989, précipitèrent la chute du régime communiste. Plusieurs dizaines de milliers de personnes ont encore défilé lundi 23 août, notamment à Leipzig. Leipzig (Saxe) : Peut-être historiens et politologues discuteront-ils un jour de l'instant où "la mayonnaise a pris", du jour où des milliers de manifestants de l'est de l'Allemagne ont décidé de descendre chaque lundi dans la rue pour protester contre les réformes sociales du gouvernement Schröder. Pour Volker Külow, président des néocommunistes (PDS) de Leipzig, il n'y a guère de doute : ce fut lorsque l'Agence du travail, l'équivalent allemand de l'ANPE, entreprit, dans le cours de l'été 2004, de distribuer aux chômeurs de longue durée un long questionnaire de 16 pages élaboré dans les bureaux du ministère de l'économie et de l'emploi. Des réponses fournies dépendait le montant des futures allocations. "Cela faisait des semaines que le parti mettait en garde contre les mesures antisociales concoctées à Berlin. On avait l'impression de prêcher dans le vide, se souvient-il. Le questionnaire a fait l'effet d'un électrochoc. Brusquement, les gens ont compris qu'ils allaient être touchés. Toutes ces questions sur leurs plus petits moyens d'existence ne leur disaient rien qui vaille. Ils se sont sentis déshabillés, socialement dégradés. Et, depuis, ils manifestent." Ils manifestent, en effet, chaque semaine, répétant les fameuses "manifestations du lundi" qui, en 1989, précipitèrent la chute du régime communiste. Les responsables de Berlin, chancelier en tête, peuvent toujours évoquer l'indécence des comparaisons entre les manifestations de 1989, contre un régime de dictature, et celles d'aujourd'hui, dans une démocratie où elles sont légalement autorisées, les protestataires de Leipzig n'ont cure de ces subtilités. Tout comme en 1989, leur nombre grossit de semaine en semaine. Ils n'étaient que quelques dizaines au début du mouvement, plus de 20 000 quelques semaines plus tard ; Volker Külow est persuadé qu'ils seront bientôt 40 000 et que les sociaux-démocrates du SPD, dont le parti, non sans tiraillements internes, soutient le gouvernement, paieront au prix fort sa politique aux prochaines élections régionales, le 19 septembre. "ILS NOUS MENTENT" A la chute du Mur, en 1989, Volker Külow avait 28 ans et, déjà, il était membre du SED, le Parti communiste de l'ancienne RDA. Quinze ans plus tard, cet historien devenu journaliste, "manager d'événements culturels" et président de la section locale du PDS de Leipzig, figure en bonne position sur la liste de son parti aux élections régionales de Saxe. En militant rodé, il décrit les complexités de la loi dite "Hartz IV" qui a aligné les allocations des chômeurs de longue durée sur celles des bénéficiaires de l'aide sociale, insistant sur les difficultés matérielles que la réforme entraîne pour des millions de personnes. Sa description ne fait pas toujours dans le détail ni, parfois, dans la rigueur, mais les protestations du gouvernement, qui hurle à la propagande et dénonce la mauvaise foi du PDS, ne convainquent pas la Saxe où le chômage avoisine les 20 %. "Ce sont les chiffres officiels, assure Volker Külow. En réalité, le chômage est de 30 %." Tardivement, le gouvernement s'est lancé dans une lourde campagne d'explications pour démontrer que la nouvelle loi n'avait pas les conséquences que ses adversaires lui prêtent. "Ils nous mentent", réplique Volker Külow, au diapason de nombre de ses concitoyens qui voient dans les décisions d'aujourd'hui une illustration nouvelle des méfaits sociaux induits par la réunification. CERTITUDES D'HIER "A la chute du Mur, Leipzig comptait 500 000 habitants et 100 000 emplois industriels, explique Volker Külow. Quinze ans plus tard, il y a toujours 500 000 habitants, mais il ne reste plus que 12 000 emplois industriels." "Démantèlement volontaire", assure-t-il, pour éliminer ce qui pouvait constituer une concurrence pour les industries de l'Ouest. L'explication est grossière, mais à l'est ils sont des millions à y croire, à se voir laissés-pour-compte d'une réunification menée à la hussarde, victimes d'une cabale visant à dénigrer le régime antérieur, par simple esprit de vengeance. Du nord au sud de l'ancienne République démocratique allemande, les anecdotes fourmillent pour illustrer l'arrogance avec laquelle les "experts" de l'Ouest sont tombés sur l'Est puis s'en sont allés, sans avoir rien réglé mais en ayant touché de grosses primes ; comment ils ont fait table rase d'une société, sans s'embarrasser des conséquences sociales ou culturelles de leurs décisions ; comment les moins bons des "spécialistes", sans avenir à l'Ouest, ont déferlé sur l'Est comme on partait autrefois dans les colonies, pour faire fortune. A Leipzig, personne ne parle de revenir au régime antérieur, mais beaucoup se sentent frustrés, réinvestissant leur malaise dans les manifestations contre la loi "Hartz IV". S'estimant citoyens de seconde zone, ils comparent volontiers leurs peurs d'aujourd'hui avec leurs certitudes d'hier, lorsque, comme le rappelle Volker Külow, "beaucoup de choses manquaient, mais les enfants pouvaient faire gratuitement des études, la concurrence d'aujourd'hui n'existait pas, l'argent n'était pas le seul but".