Annonce Les Rencontres d'Arles, un programme dispersé Arles chemine à l'inverse." Ainsi parle François Barré, président des Rencontres photographiques d'Arles. Après le succès de l'édition 2004, qui doit beaucoup au brio du directeur artistique Martin Parr avec un programme bâti autour du documentaire, les festivaliers se demandaient quelle personnalité donnerait le ton de cette édition 2005. Il n'y en a pas. François Hébel, directeur de la manifestation, a préféré bâtir un programme éclectique. Cinquante-cinq expositions - dont une quinzaine proposées par un jury - explorent un spectre large, du photojournalisme à l'installation conceptuelle, associent figuration et abstraction, documents froids et expressions lyriques, portraits et paysages. Au programme de la trente-sixième édition Expositions. Cinquante-cinq expositions sont présentées, essentiellement dans la ville historique et dans les anciens ateliers de la SNCF. Tous les jours, de 10 heures à 21 heures ; à partir du 11 juillet, jusqu'à 19 heures. Jusqu'au 28 août ou au 18 septembre. Forfaits : 16 € et 20 €. Entrée libre pour les moins de 16 ans et les Arlésiens. Projections. David Tartakover (le 5 juillet) ; Les 25 ans de l'agence Outline (le 6) ; La photographie brésilienne par Milton Guran (le 6) ; Prix des Rencontres d'Arles 2005, Prix Henri Cartier-Bresson et hommage à Cartier-Bresson (le 9). Théâtre antique, à 22 heures. 8 € et 12 €. La Nuit de l'année. Vingt-six projections offertes par des acteurs de la presse, agences, collectifs et biennales étrangères sont à découvrir dans le vieux quartier de la Roquette. Animations nocturnes avec des orchestres de rue et bodegas. Le 8 juillet, de 22 heures à l'aube. Colloques. La photographie, sa place dans une politique culturelle locale (auditorium de l'Espace Van Gogh, les 4 et 5 juillet, à 9 h 30 ; Crise ou âge d'or de la photographie ? (auditorium de l'Ecole de la photographie, le 5, à 10 heures) ; Image et engagement (Théâtre d'Arles, les 6 et 7, à 19 heures) ; La photographie comme lien social (Théâtre d'Arles, les 9 et 10, à 10 heures). Renseignements. Bureau du festival, 10, rond-point des Arènes. Tél. : 04-90-96-76-06. www.rencontres-arles.com/ [-] fermer Depardon, directeur artistique en 2006 Imposer une thématique a l'avantage de produire du sens. Le festivalier suit le programmateur dans ses choix, n'attend pas de rétrospective fleuve, il est là pour se confronter à une lecture de la création. Il apprend, discute, adhère, s'oppose. A Arles cette année, le débat se limite à la qualité des images. Deux expositions réunies au Palais de l'Archevêché disent le handicap d'un programme sans ligne affirmée : d'un côté, une lecture critique des images publiées dans la presse sur les attentats en Israël par l'Israélienne Michal Heiman ; de l'autre, des vues nocturnes et marines de Rio, au début du XXe siècle, par Carlos Bippus. L'œil est désarmé par un tel gouffre esthétique. Prenons encore la collection privée de l'Américain W. M. Hunt. Près de 400 photos sont réunies sur les murs de l'Espace Van-Gogh. Des grands noms sont là : Arbus, Cartier-Bresson, Brassaï, Robert Frank, mais aussi Sherman, Coplans. On passe du XIX e siècle au XXIe siècle, entre stars et documents anonymes. Il y en a pour tous les goûts. Justement, on est loin des grandes collections qui affirment un regard. D'autant que les artistes, dans un ensemble tape-à-l'œil, sont rarement représentés avec leur meilleur et que les images, rangées par thèmes poussifs (le masque, le saut, le visage), s'agglutinent sur les murs. En faisant un effort, deux préoccupations liées semblent dominer ce cru 2005, correct mais pas renversant, à condition d'évacuer une bonne dose d'auteurs qui s'égarent dans un formalisme pictural. Une énergie à s'emparer des fractures du monde et le recours à des images manipulées au moyen de l'ordinateur afin de souligner un projet militant. Se dessine, dans une cité arlésienne saisie par le tourisme estival, un monde noir et cloné - surtout dans les expositions présentées aux ateliers SNCF, qui s'imposent comme le lieu stimulant du festival. LA COULEUR ROUGE L'installation visuelle et sonore du Brésilien Miguel Rio Branco dans la majestueuse église des Frères-Prêcheurs donne le ton. Domine la couleur rouge de la mort, de l'oppression, du sang. "Le monde est devenu un hold-up international, tempête l'artiste. J'ai voté Lula, devenu président du Brésil. Il n'a rien fait en trois ans. Le Brésil est le symbole de l'impuissance planétaire. Je ne vote plus." L'Israélien David Tartakover est un autre enragé. Ce graphiste et affichiste propose à l'Atelier de mécanique ses brûlots contre la politique territoriale des dirigeants israéliens. Il associe textes et photos de façon percutante, sans nuances. Il dénonce la mort d'un enfant palestinien tué "en respectant les règles" ou l'assassinat du premier ministre Yitzhak Rabin. Il montre l'ancien premier ministre Benjamin Nétanyahou entouré de sa femme, de ses deux enfants et de douze gardes du corps avec le logo "United Colors of Netanyahu". Autre Israélien, Barry Frydlender (église Sainte-Anne) introduit au moyen du logiciel Photoshop, dans le plan panoramique coloré, la même scène - un attentat, une plage, une intervention militaire - à quelques secondes ou semaines d'intervalle. Le temps cinématographique s'invite dans la photographie. Un café devient lieu d'attentat. Frydlender souligne "le drame de son pays" . Projet sophistiqué. Un peu trop, la belle image prenant souvent le pas sur le propos. L'Atelier de chaudronnerie concentre des images "trafiquées". Mathieu Bernard-Reymond incruste un soldat devant un paisible pavillon avec voiture rutilante. Juergen Staack crée un timbre à l'effigie de Ben Laden, mentionnant que sa tête est mise à prix 25 millions de dollars. Le Japonais Kyoichi Tsuzuki n'a même pas besoin d'en rajouter : il enregistre des parcs à thème, sophistiqués ou bricolés, loufoques et effrayants, qui disent le factice mondial - statue de la Liberté miniature, Vénus de Milo géante, parc kitsch sur le Louvre... Le visage est encore la "géographie" du doute, entre singularité et standardisation. On pense à la Britannique Gillian Wearing, qui dévoile au Magasin des Ateliers un beau travail sur les correspondances des traits de son visage avec ceux de sa famille. L'Argentin Leandro Berra a demandé à des hommes et femmes de dresser leur "autoportrait robot" - impossible - à partir d'un logiciel américain utilisé par Interpol. La Néerlandaise Annet van der Voort a photographié l'évolution du visage de huit femmes, de 8 ans à 80 ans, depuis le réveil matinal jusqu'à leur départ de la maison. Denis Darzacq aligne les portraits sensibles de jeunes de Bobigny, tels qu'on ne les voit jamais quand les cités s'embrasent. Le résultat, souvent, n'est pas à la hauteur des projets annoncés. Ainsi, le photojournaliste néerlandais Geert van Kesteren a collé en grand ses photos de la guerre en Irak sur des panneaux en leur associant des citations d'Irakiens ou de George Bush. La forme est spectaculaire, mais les images ne se distinguent pas de ce qui fut publié dans la presse. La Néerlandaise Christien Meindertsma affiche à l'Atelier de mécanique une partie des 3 264 objets contondants confisqués sur des passagers par des employés d'aéroport après les attentats du 11-Septembre. L'artiste entend dénoncer l'absurdité de l'"obsession sécuritaire". On la suit. Mais les images sont d'un intérêt limité. La plupart des artistes ont des idées attractives - et des textes de présentation parfois obscurs -, mais une forme photographique qui tient le mur tant bien que mal. Il y a quand même deux dingues dont les images marquent. Le Tchèque Miroslav Tichy, né en 1926, bricole dans son coin des appareils photo pour capturer des jeunes filles en bikini, à la plage, au parc, derrière des arbres ou un grillage. Un voyeur du string, qui créé des petites images en noir et blanc tachées, floues, qui semblent d'un autre âge. Et puis le grand Suédois Strömholm, dont on découvre au Capitole les photographies acérées. La douleur du monde, elle est là.