Nouveau/elle Les quotidiens gratuits apparaissent dans quelques grandes villes des Etats-Unis Aux Etats-Unis, les quotidiens gratuits sont arrivés plus lentement et plus laborieusement qu'en Europe. Le premier journal gratuit du monde, Metro, a attendu trois ans avant de s'attaquer à New York. "Nous avons avancé aux Etats-Unis sur la pointe des pieds", reconnaît Henry E. Scott, éditeur de Metro NewYork, lancé en mai 2004. Le groupe suédois a commencé à Philadelphie, non sans difficultés, en 2000, puis à Boston en 2001.Aujourd'hui Metro diffuse plus de 600 000 exemplaires dans les trois villes, dont la moitié à New York, ce qui reste modeste vu la dimension du pays. Le groupe suédois est aussi présent à Montréal et à Toronto. "Metro est un phénomène mondial, qui fonctionne en Europe, en Asie, mais aussi en Amérique", explique M. Scott, qui refuse de préciser quel sera le rythme des lancements, mais ne cache pas que le groupe est passé à la vitesse supérieure aux Etats-Unis.Pour asseoir sa croissance aux Etats-Unis, Metro a fait alliance à Boston avec le New York Times et sa filiale le Boston Globe. Il a annoncé, le 10 mars, une prise de participation de 49 % dans Boston Metro. "L'entreprise de journaux la plus éminente apporte son soutien à un journal gratuit", se réjouit Henry Scott. Le New York Times y voit un moyen de conforter son marché publicitaire à Boston et de toucher le lectorat jeune friand de ce type de publication. Le Boston Globe devrait fournir des informations locales. La prise de participation, annoncée dès janvier, a été retardée par une enquête des autorités de la concurrence et la polémique déclenchée par les déclarations racistes d'un dirigeant du groupe suédois.AMBITION JOURNALISTIQUEL'intérêt du prestigieux quotidien américain pour le marché des gratuits est symbolique. Les journaux traditionnels deviennent aussi des acteurs de la presse gratuite. Le Washington Post a créé L'Express, en 2003, et le Dallas Morning News a lancé Quick. Le groupe Chicago Tribune possède une flottille de gratuits (Red Eye, à Chicago, AM New York) et vient de rendre gratuites les éditions de Chicago et de Los Angeles du quotidien hispanophone Hoy (qui reste payant à New York). Le deuxième groupe de journaux, derrière Gannett (USA Today), Knight Ridder, qui possède notamment le San Jose Mercury News ou le Miami Herald, vient d'acheter plusieurs quotidiens gratuits en Californie. Et son PDG, Tony Ridder, a indiqué qu'il cherchait à en lancer d'autres pour accroître son lectorat."Les journaux font quelques expériences avec les gratuits, constate Tony Bennett, vice-président chargé du lectorat, à la Newspaper Association of America (NAA, association des journaux américains). C'est souvent une stratégie de défense, mais les journaux doivent réagir car il y a beaucoup d'informations qui circulent gratuitement. Ils offrent des produits qui sont complémentaires et permettent d'atteindre des non-lecteurs et des jeunes.""Comme les autres éditeurs importants, le Washington Post cherche de nouveaux moyens d'intéresser de nouveaux lecteurs, explique Christopher Ma, éditeur d'Express, le gratuit duWashington Post. En étudiant le succès de ces journaux urbains en Europe, nous avons pensé que Washington était un bon moyen pour expérimenter ce modèle." Express affiche une diffusion de 175 000 exemplaires. Il vise un public jeune qui ne lit pas - en principe - le Washington Post.Le groupe de Washington affronte, depuis le mois de février, un nouveau concurrent gratuit, Le Washington Examiner, propriété du milliardaire Philip Anschutz, qui possède également le San Francisco Examiner et qui affiche des ambitions dans la presse gratuite. Ce lancement illustre l'autre phénomène qu'on voit apparaître sur le marché des gratuits : des journaux, avec un contenu plus important que la formule Metro, et une ambition journalistique revendiquée, comme AM New York, qui annonce une distribution de 300 000 exemplaires. "Nous sortons des scoops sur New York, 90 % de nos articles sont originaux", explique Russell Pergament, éditeur du gratuit new-yorkais, et ancien de Metro Boston.L'éditeur du Washington Examiner, James Mac Donald, veut aussi faire un journal complet, avec des informations locales et nationales (via les agences de presse, mais aussi en reprenant des articles du New York Times) et des pages éditoriales (nettement plus à droite que celles du Washington Post). Il affiche un tirage de 260 000 exemplaires. Sa particularité vient de son mode de distribution : plus de la moitié de sa diffusion se fait par portage à domicile.DÉCLIN INEXORABLE"Je pense que le déclin des journaux payants est inexorable, prédit Russell Pergament, l'éditeur d'AM New York. Leur diffusion baisse de 1 % à 2 % par an. 10 % de leur diffusion est gratuite, via les hôtels ou les promotions. Les ventes ne représentent que 20 % de leurs recettes et ils vont payer de plus en plus cher pour cette diffusion. Nous verrons de plus en plus de journaux gratuits." Pour James MacDonald,"la gratuité est le futur des journaux. Dans dix ans, il y aura très peu de journaux payants. Les médias vont continuer à se diversifier, l'offre sera abondante. Il n'y a pas de raison que je paye pour des informations que je peux avoir gratuitement."On n'en est pas encore là. En 2001, les quotidiens gratuits représentaient 1 % du marché des journaux américains. Le chiffre est de 4 % aujourd'hui, avec environ deux millions d'exemplaires. Mais les journaux gratuits font partie du paysage - surtout si l'on ajoute les hebdomadaires de villes ou de quartiers - et beaucoup considèrent que l'arrivée des gratuits est le plus important événement dans l'industrie de la presse depuis la création de USA Today en 1982.Alain SallesUn "Citizen Kane" de la presse gratuite ?Quelles sont les ambitions du milliardaire Philip Anschutz ? Après avoir racheté le San Francisco Examiner, le premier journal de Randolph William Hearst, qui servit de modèle au Citizen Kane d'Orson Welles, il a repris un groupe de journaux de Virginie, devenu en février The Washington Examiner. Il a aussi déposé le nom The Examiner dans une soixantaine de villes, avec la volonté de se développer. "Nous étudions toutes les opportunités. Il y aura d'autres acquisitions", prévient Jim Monayhan, porte-parole de Anschutz Company en rappelant que son patron est connu pour prendre des risques.Né au Texas, Philip Anschutz, installé à Denver (Colorado), est un milliardaire plutôt secret, chrétien, conservateur et collectionneur d'art. Il a fait fortune dans le pétrole et les chemins de fer. Il est le principal actionnaire de l'opérateur de téléphone Qwest, le propriétaire du groupe Regal, premier circuit de salles de cinéma aux Etats-Unis. Il possède des équipes de football et la célèbre équipe de basket-ball de Los Angeles, les Lakers. Le Washington Post a pris un malin plaisir à relever que The Washington Examiner avait une forte propension à parler des activités de son propriétaire, sans préciser qu'elles étaient liées à M. Anschutz.
