Anniversaire Les nouvelles mutations de l'empire Wendel Alors qu'il célèbre ses trois cents ans, le groupe familial s'est transformé ces deux dernières années en un fonds d'investissement. Des biotechnologies à l'équipement électrique, il est présent dans une dizaine de sociétés et se veut un actionnaire à long terme.La transformation s'est faite en moins de deux ans et demi. D'une holding sous cotée, ressemblant à une grosse sicav, le groupe Wendel a fait un fonds d'investissement privé. D'actionnaire passif, il est devenu investisseur impliqué dans la gestion de ses participations. De la CGIP, il s'est changé en Wendel Investissement.La rupture s'imposait. Depuis la fin 2000, le groupe s'interrogeait sur son avenir. Ernest-Antoine Seillière, devenu président du Medef, avait pris du champ par rapport à la gestion quotidienne. Entre le dossier Air Lib, Traders.com ou Capgemini, les problèmes s'accumulaient. La famille, qui avait accepté de laisser dans le groupe une partie de ses avoirs - sauvés de la faillite de la sidérurgie -, renâclait devant les mauvaises performances. Surtout un doute existentiel taraudait le groupe : à quoi servait la CGIP ? Holding, elle investissait la quasi-totalité de ses fonds dans des sociétés cotées : 70 % de son actif était dans la société de services informatique Capgemini. Elle en subissait les soubresauts sans pouvoir peser sur sa conduite. Il y avait les partisans de la liquidation et ceux de la rénovation. Emmenée par M. Seillière, qui ne se voyait sans doute pas en liquidateur de l'héritage, la famille décida de rester pour une nouvelle aventure.Un montage compliqué a été imaginé pour réduire la position de la CGIP dans Capgemini sans en détruire sa valeur boursière, par le biais d'échanges d'actions. Puis la cascade de contrôle a été simplifiée et Marine Wendel (holding de tête) et la CGIP ont été fusionnés pour devenir une seule entité, Wendel Investissement.Sa mission ? Devenir un investisseur de long terme dans des sociétés non cotées, là où le groupe peut apporter ressources et savoir-faire. A la différence des fonds d'investissements privés professionnels comme Apax Partners, KKR, ou PAI, Wendel Investissement dit être patient. "Nous n'avons pas des exigences de taux de retour sur investissement de trois à cinq ans, comme nos concurrents. Nous avons le temps et voulons créer de la valeur sur le long terme", assure Jean-Bernard Lafonta, directeur général de Wendel Investissement et artisan de la redéfinition de la société.En contrepartie, le fonds exige une totale implication dans la direction de leurs participations. Il se veut actionnaire, si ce n'est unique au moins dominant, avec un droit de regard permanent sur la gestion quotidienne. Une mise sous tutelle des directions compensée par un fort système d'intéressement aux résultats des équipes en place.Fort de cette ligne de conduite, le groupe a tout revisité. Les anciennes participations, héritées de l'empire Wendel, ont été réexaminées. Ainsi, la direction de Wheelabrator Allevard, spécialiste des abrasifs industriels, a été reprise en main. Une nouvelle équipe, emmenée par Yves Barraquand, a été mise en place avec mandat de redresser l'entreprise, de la réorganiser et de la développer. De même Bureau Veritas, spécialiste de la certification, qui réalise 1,2 milliard d'euros de chiffre d'affaires avec 18 500 personnes dans le monde, a été encouragé à accélérer sa croissance.Dans le même temps, les participations dans les sociétés cotées ont été cédées. BioMérieux a été fortement incité à s'introduire en Bourse. En moins d'un an, ces ventes ont permis de ramener l'endettement du groupe de 32 % à moins de 10 % de l'actif net. Les engagements dans les groupes cotés ne représentent plus que 15 % de l'actif contre plus de 85 % dans l'ancienne CGIP.Ces disponibilités financières, selon les responsables de Wendel investissement, doivent servir en priorité dans la reprise de sociétés recélant un fort potentiel de valeur. La première illustration de cette stratégie a été le rachat de Legrand en 2002. La reprise de la société d'équipements électriques, orpheline d'actionnariat après le veto de Bruxelles sur sa fusion avec Schneider, était à l'époque à la limite des capacités de financement de Wendel. Depuis, le fonds a acquis une marge de manœuvre financière. C'est sans difficulté qu'il a pu reprendre pour 620 millions d'euros dont 180 millions en fonds propres l'éditeur Editis en octobre.Trouvant sans aucun problème à se financer sur le marché obligataire, Wendel Investissement dit disposer aujourd'hui de 900 millions d'euros environ pour investir.Sa crainte, c'est l'envolée des prix. L'argent afflue dans tous les fonds privés qui s'arrachent les entreprises. "Notre chance est que nous sommes désormais un nom reconnu et que nous n'avons plus besoin de faire la différence par le prix", dit M. Lafonta. "Nous avons un autre avantage. Nous sommes français", ajoute Ernest-Antoine Seillière, qui de Valeo à Editis en passant par Legrand a souvent mis cet argument de la nationalité en avant pour faire pencher la balance en sa faveur face à d'autres concurrents. Refusant de participer aux surenchères actuelles ou de se disperser dans de trop petits investissements, le groupe aujourd'hui préfère employer ses ressources pour ses participations. Il a déjà dépensé 660 millions d'euros pour prendre le contrôle de Bureau Veritas et est prêt à lui accorder d'autres moyens pour son développement. Comme il affirme être prêt à le faire pour les autres.Repositionné, affichant un taux de retour de 18 % par an et une hausse de 96 % de son cours depuis sa création, ayant presque réussi à faire disparaître sa décote, il se dit désormais qu'il a les moyens d'attendre.Martine Orange
