Annonce Les médicaments génériques ne cessent de se développer Dans les pays occidentaux, ces copies gagnent régulièrement des parts de marché. Revers de cette banalisation, les laboratoires qui les fabriquent se livrent une concurrence accrue et voient leurs marges diminuer. Du coup, plusieurs d'entre eux lancent des produits brevetés. Les premières escarmouches contre les brevets du Lipitor, l'anticholestérol vedette du laboratoire pharmaceutique américain Pfizer, sur son principal marché, les Etats-Unis, ont eu lieu fin novembre. Le fabricant de médicaments génériques indien Ranbaxy a demandé à un tribunal de l'Etat du Delaware d'annuler la protection juridique qui confère à Pfizer un monopole jusqu'en 2009. Si le juge donnait raison à Ranbaxy, le numéro un mondial du médicament perdrait d'un seul coup le cinquième de son chiffre d'affaires 2003. Les ventes du Lipitor ont en effet permis à Pfizer d'engranger 9,2 milliards de dollars (6,8 milliards d'euros), sur un chiffre d'affaires total de 45 milliards. Tous les experts s'accordent à le dire : l'"effet générique" ne fait que commencer. Selon l'Association des génériqueurs européens (European Generic Medicine Association), 35 % des médicaments les plus vendus en Europe verront leurs brevets prochainement tomber dans le domaine public. Entre 2005 et 2010, estime Datamonitor, ce passage pourrait se traduire par un manque à gagner d'environ 100 milliards de dollars, soit 79 % du chiffre d'affaires réalisé en 2003 par les laboratoires pharmaceutiques. Alors que les ventes de médicaments de marque devraient progresser de 10 % sur les cinq prochaines années, selon IMS Health, une société d'études spécialisée dans le domaine de la santé, celles de génériques devraient croître de 20 % par an. Elles atteindraient ainsi 80 milliards de dollars d'ici à 2008, contre 35 milliards de dollars aujourd'hui. Graham Lewis, vice-président d'IMS, estimait en juillet au congrès international des fabricants de génériques que "sur les sept principaux marchés mondiaux - Etats-Unis, Canada, Allemagne, France, Italie, Espagne et Royaume-Uni -, le chiffre d'affaires des génériques devrait représenter 60 milliards de dollars d'ici à 2008". Longtemps cantonné aux Etats-Unis et à la Grande-Bretagne, le marché des génériques s'élargit à toute la planète. Dans les pays occidentaux, le développement de ces produits, moins chers que les originaux, permet aux gouvernements d'appuyer leurs politiques de réduction des coûts de l'assurance-maladie. En France, une modification du cadre juridique a ainsi autorisé en 1999 les pharmaciens à substituer un médicament générique à un produit de marque. Dans les pays en voie de développement, l'accès aux génériques est synonyme d'accès aux soins. Des Etats très peuplés comme l'Inde, le Brésil, l'Afrique du Sud ou la Chine favorisent donc la naissance d'une industrie du médicament copié. Fortes d'une main-d'œuvre à bas coût, ces nouvelles entreprises ne se cantonnent d'ailleurs pas au marché local mais livrent une concurrence souvent féroce aux fabricants de génériques des pays développés, notamment européens. ALLIANCES POSSIBLES Si l'avenir du médicament générique ne fait pas de doute, la survie des fabricants en revanche pose problème. Quelques groupes dominent aujourd'hui un marché très morcelé : Teva, un israélien, et Sandoz (filiale du laboratoire suisse Novartis), sont au coude à coude suivis par trois groupes allemands, Merck KgaA, Hexal et Ratiopharm. Les dix premières entreprises du secteur représentent à peine un quart du marché mondial du générique. Renonçant à se diversifier dans cette branche, les grands laboratoires pharmaceutiques, quant à eux - à l'exception de Novartis et de Sanofi Aventis -, se concentrent sur la recherche de nouveaux produits. Hormis aux Etats-Unis où le premier qui casse un brevet gagne une exclusivité de six mois, la concurrence est sauvage. Comme l'explique Philippe Ranty, président de Sandoz France et président de l'association Gemme (Générique, même médicament), "soit le marché est mature et les industriels se livrent à une guerre incessante sur les prix, soit il est émergent et personne ne gagne sa vie". Pour survivre, les génériqueurs - européens pour la plupart - doivent porter une attention soutenue au prix de revient de leurs produits. "Soit on fait le choix de l'intégration avec des productions en flux tendu comme dans l'automobile, soit on décentralise et on confie la production à des spécialistes", dit Anne Baille, PDG de Teva France. Pour l'instant, les plus gros fabricants de génériques semblent avoir opté pour l'intégration. Ratiopharm fabrique tous ses produits dans cinq usines dont quatre sont situées en Europe de l'Ouest et une au Canada. Pour améliorer sa compétitivité, Sandoz restructure son appareil de production. Mais selon les produits, bien des alliances deviennent possibles. Ainsi, lorsque les brevets de l'antibiotique Augmentin sont tombés dans le domaine public, GlaxoSmithKline n'a pas cessé de le produire pour autant : il a choisi d'approvisionner les entreprises de génériques à prix coûtants pour continuer de faire tourner ses usines. NOUVEAUX BREVETS La compétition acharnée qui domine le marché de la copie médicamenteuse oblige aussi les fabricants à rechercher des espaces moins concurrentiels. Plutôt que tenter de réduire toujours plus leurs coûts de production - au risque d'attenter à la sécurité -, ils développent depuis plusieurs années une politique de recherche et de développement autonomes. Et protègent leurs revenus derrière un rempart de... brevets. Dès 2000, l'américain Ivax affirmait ainsi tirer 50 % de son chiffre d'affaires de produits sous le coup de brevets protégeant moins de nouvelles molécules que des process innovants. "Un génériqueur peut se donner un avantage dans la posologie, explique Hubert Ollivier, PDG de Ratiopharm France. Prendre un comprimé par jour au lieu de deux parce qu'on a pu programmer une libération du principe actif en deux temps" peut représenter un avantage. D'ici à 2012, Ranbaxy prévoit de tirer 40 % de ses revenus de produits innovants et brevetés. De son côté, Teva a obtenu en novembre une recommandation positive aux Etats-Unis - prélude à une autorisation de mise sur le marché - pour l'Azilect, un médicament développé en coopération avec les laboratoires Lundbeck contre la maladie de Parkinson. Yves Mamou Trois allemands parmi les leaders Teva : premier mondial du secteur, le fabricant israélien de génériques a réalisé en 2003 un chiffre d'affaires de 3,3 milliards de dollars (2,44 milliards d'euros). (Pharmacie et génériques.) Sandoz : la filiale du laboratoire suisse Novartis Suisse) a vendu en 2003 pour 2,9 milliards de dollars de médicaments génériques. Merck KgaA : le groupe allemand a réalisé une activité de 1,8 milliard de dollars en 2003. Il est suivi de près par ses compatriotes Hexal (1,43 milliard) et Ratiopharm (1,34 milliard). Mylan : le chiffre d'affaires de l'entreprise américaine en 2003 a atteint 1 milliard de dollars. Instauration de brevets en Inde A compter du 1er janvier 2005, l'Inde appliquera le système international des brevets pharmaceutiques : tout nouveau médicament sera protégé pendant vingt ans, ceux commercialisés avant 1995 pourront continuer à être copiés librement. Jusqu'alors, l'absence de loi avait permis à une puissante industrie pharmaceutique de se développer en copiant impunément les molécules inventées par les étrangers. Devant cette décision, les grands fabricants locaux de médicaments génériques sont partagés. Ainsi, si Ranbaxy, le premier laboratoire indien, soutient la réforme, Cipla, le numéro deux, la décrie. Le secteur emploie aujourd'hui 500 000 personnes.