Crise Les Libanais défient leur gouvernement et Damas Plusieurs milliers de Libanais, encerclés par l'armée au cœur de Beyrouth, ont bravé, lundi 28 février, l'interdiction de rassemblement décrétée par le pouvoir. Des milliers de Libanais se sont rassemblés, dans la nuit de dimanche 27 à lundi 28 février, dans le centre de Beyrouth, bravant une interdiction de manifester prononcée par le gouvernement à l'occasion d'une séance extraordinaire du Parlement sur l'assassinat de Rafic Hariri. A l'entrée en vigueur à 5 heures (4 heures à Paris) de l'interdiction de rassemblement décidée par le ministre de l'intérieur libanais, Soleimane Frangié, au cœur de Beyrouth, les manifestants ont entonné l'hymne national en agitant une forêt de drapeaux libanais. Un dirigeant de l'opposition, Akram Chehayeb, a harangué la foule et appelé les soldats à se joindre aux manifestants. "Nous attendons qu'ils [les militaires] se joignent à nous et non qu'ils nous répriment", a-t-il déclaré, acclamé par la foule. "Qu'ils laissent les gens bloqués dehors nous rejoindre", a-t-il ajouté. "Nous sommes un mouvement pacifique, le peuple est avec nous et grâce à vous, nous allons vaincre", a affirmé ce responsable. L'armée libanaise a bloqué depuis dimanche soir les accès du centre-ville. Plusieurs transports de troupes et véhicules blindés restaient postés aux principaux carrefours menant au centre-ville rénové. Les soldats se montraient toutefois bienveillants avec les manifestants, leur indiquant les passages encore ouverts à pied pour accéder à la place des Martyrs. UN "MOMENT HISTORIQUE" Depuis l'annonce de l'interdiction de rassemblement la veille, les manifestants ont commencé à affluer à pied, en scandant "Syria out!", "Le Liban est notre religion", "Nous voulons la vérité!", "Indépendance, liberté, souveraineté". Plusieurs députés de l'opposition étaient présents parmi les manifestants qui ont veillé sur place, enroulés dans une couverture ou dans la bannière nationale. Certains, exténués, se sont allongés à proximité de la sépulture de l'ancien premier ministre Rafic Hariri, tué le lundi 14 février dans un attentat imputé par l'opposition aux régimes libanais et syrien, en "sa qualité de pouvoir de tutelle". "C'est un peu comme la prise de la Bastille. Je suis exténué, mais je sens que je vis un moment historique, et il est impensable de partir", s'est exclamé Samir, un technicien de 30 ans. Depuis douze jours, des milliers de personnes se rassemblent chaque soir sur cette place, rebaptisée place de la Liberté, pour réclamer la vérité sur l'assassinat et le retrait des troupes syriennes. Des convois de voitures, ornées de drapeaux, sillonnaient les rues de la capitale, et les images de leur parade retransmises sur des écrans géants, dans le centre-ville, galvanisaient la foule. "Nous sommes choqués que l'armée ait été contrainte de venir encercler la place de la Liberté [...] mais les jeunes n'ont pas peur de la répression car la volonté de la liberté est plus forte que toutes les formes de répression", a déclaré un dirigeant de l'opposition, Elias Atallah (Gauche démocratique). Plusieurs députés, une écharpe rouge et blanc, emblème de l'opposition, autour du cou, ont appelé les manifestants à rester sur les lieux jusqu'à la chute du cabinet d'Omar Karamé. Le député Akram Chehayeb a appelé les Libanais de toutes les régions à percer le blocus de l'armée et se joindre en force aux manifestants. "Demain est l'aube d'un jour nouveau", a-t-il dit. Un débat de confiance est prévu au Parlement, situé à proximité de la place des Martyrs, et les députés de l'opposition plurielle, minoritaires, sont déterminés à faire tomber le cabinet prosyrien d'Omar Karamé. L'opposition avait décidé de maintenir son mot d'ordre de rassemblement pacifique en dépit de l'interdiction du ministre de l'intérieur, Soleimane Frangié.