Anniversaire Les héros retrouvés de l'Allemagne : Le soixantième anniversaire de l'attentat raté contre Hitler, longtemps ignoré, est largement célébré. Vu d'Allemagne, le débarquement allié en Normandie n'est plus une «invasion» mais une «libération». Et les auteurs de l'attentat manqué contre Adolf Hitler, longtemps considérés comme des «traîtres», sont désormais élevés au rang d'«hommes d'honneur»... Plus que des glissements sémantiques, une révolution culturelle. Car la frénésie qui teinte les célébrations du soixantième anniversaire de ces événements repères de la Seconde Guerre mondiale n'a d'égale que l'indifférence avec laquelle ils furent longtemps traités. «Je n'avais jamais rien entendu sur cette histoire.» Cet aveu, griffonné par un visiteur sur le livre d'or du Bendlerblock, le quartier général des conjurés devenu Mémorial de la résistance, résume ces années d'ignorance. «Faut-il être fier des putschistes du 20 juillet 1944 ?» La question récurrente qui ouvre les innombrables rétrospectives sur le coup d'Etat avorté peut surprendre. Tous ceux qui s'opposèrent à Adolf Hitler n'étaient-ils pas des héros ? Les Allemands de 2004 ont du mal à croire que le chancelier Konrad Adenauer, père d'une nation redevenue démocratique, interdit dans les années 50 un poste de diplomate à un certain Erich Kordt, sous prétexte qu'en prenant activement part au complot contre le Führer, il avait «trahi son chef». A la même époque, plus de la moitié des citoyens d'une ville refusaient par référendum de donner à une école le nom de Claus Schenk von Stauffenberg. Modèles. Aujourd'hui, trois cents rues allemandes honorent l'auteur de l'attentat avorté et, d'après un sondage publié par l'hebdomadaire Der Spiegel, 73 % de la population a une image positive des insurgés, contre 10 % de détracteurs. «Tant que 1945 a été vu comme une défaite, toute forme de résistance, civile ou militaire, a été assimilée à une trahison. Le résistant est celui qui ne veut pas la victoire de son peuple», rappelle Johannes Tuchel, le conservateur du Mémorial qui accueille 80 000 personnes par an, deux fois plus qu'il y a dix ans. Hier, le chancelier Gerhard Schröder a expliqué : «Je pense que s'il y a des modèles en Allemagne (...), ces hommes et ces femmes en font partie.» «Porc parvenu». «Peu de pays peuvent se vanter d'avoir vécu de tels événements. Malgré tout, le 20 juillet 1944 a toujours été un anniversaire de deuxième catégorie», juge l'historien Joachim Fest. Les Allemands n'ont jamais su quel statut accorder à ces hommes qui avaient, pour la plupart, applaudi à l'arrivée d'Adolf Hitler au pouvoir, en 1933, mené la guerre à ses côtés en tant qu'officiers de haut rang, avant de faire sécession au moment de la débâcle sur le front russe pour des raisons qui n'étaient pas forcément les plus morales. «La préoccupation de von Stauffenberg» fut moins de mettre un terme à la folie meurtrière des nazis que de contribuer à la «survie de l'armée et l'évitement d'une défaite», estime l'historien Hans Mommsen. Le plus célèbre des putschistes avait une sympathie non dissimulée pour la théorie de la race supérieure. En tant que membre de la noblesse, de l'élite militaire, il voyait pourtant en Hitler un «porc parvenu et petit-bourgeois». Le cheminement d'Henning von Tresckow est similaire. Ame de la résistance depuis 1938, l'homme complotait la nuit et collaborait le jour, certes avec dégoût, aux exactions commandées par les SS. «Ils ont voulu tuer Hitler et étaient prêts à mourir pour ça. En cela, leur mérite politique est réel. Mais il est difficile d'accepter ce groupe d'hommes comme un exemple moral car tous ont des massacres à se reprocher», considère le professeur Christian Gerlach. «Nous avons toujours su, confirme Philipp von Boeselager, l'un des rares survivants de l'aventure, que nous ne serions jamais des héros.» Pendant des décennies, les quelque 200 comploteurs ont été considérés par la droite ouest-allemande comme des traîtres, par une partie de la gauche et des théoriciens de la RDA comme des fascistes, trop tard repentis, qui tentaient désespérément de sauver leur peau. Ce n'est qu'à partir de 1999, sous l'impulsion des sociaux-démocrates fraîchement revenus aux affaires, que les conjurés ont connu une amorce de reconnaissance nationale. Depuis, chaque 20 juillet, dans la cour du Bendlerblock, les recrues de la Bundeswehr sont appelées à prêter serment sur la Constitution en ces termes : «Au-delà du devoir d'obéissance, il y a l'obligation morale.» «Héritage positif». Dans la foulée de la commémoration du 6 juin 1944, les médias allemands sont restés sur le pont à coup de numéros spéciaux. La Frankfurter Allgemeine Zeitung offre ainsi une tribune à Helmut Kohl, dont les mandats ne furent pas vraiment marqués par une explication franche avec le passé. La tentative d'assassinat d'Adolf Hitler, écrit l'ancien chancelier, est un «événement porteur d'espoir (...) qui fait partie de l'héritage positif de l'histoire allemande. Nous devons être profondément reconnaissants envers les hommes du 20 juillet 1944. Ils font partie des héros de notre nation». Le mot est lâché. (publicité)