Procès Les faits ont été commis, selon le juge, sous le coup d'une «contrainte morale».Affaire Humbert: le non-lieu ravit le médecin, désole la mèreFrédéric Chaussoy a quitté son regard inquiet, sa femme a pleuré de joie, et ils ont débouché le champagne. «Non-lieu». Cela faisait deux ans qu'il attendait ça. «On a vu arriver le fax sous nos yeux, signé de la main du juge, ça y est, c'est fini, c'est gagné. Un moment émouvant», raconte le médecin au téléphone.Lettre à Chirac. Le docteur Chaussoy, chef du service de réanimation de l'hôpital héliomarin de Berck-sur-Mer (Pas-de-Calais), n'ira pas aux assises. Il avait mis fin aux jours de Vincent Humbert en débranchant son respirateur artificiel puis en lui injectant du chlorure de potassium le 26 septembre 2003. Le pompier de 22 ans, muet, tétraplégique et presque aveugle après un accident de voiture, avait demandé le droit de mourir dans une lettre à Jacques Chirac, puis dans un livre, depuis son lit d'hôpital. Marie Humbert, la mère de Vincent, avait injecté des barbituriques dans la sonde gastrique de son fils le 23 septembre 2003, échouant à le tuer. Elle ne sera pas jugée non plus pour empoisonnement. Pour la juge d'instruction Anne Morvant, le médecin et la mère ont agi sous le coup d'une «contrainte morale».Le médecin trouve que la juge a géré ce dossier «avec beaucoup d'humanité, ce qui prouve qu'il n'y a pas que des juges inhumains à Boulogne-sur-Mer (allusion à l'affaire d'Outreau, ndlr)». Marie Humbert, elle, enrage. «Je suis très déçue, a-t-elle confié hier à l'AFP. Ça signifie qu'on va enterrer l'histoire comme si mon fils n'avait pas existé, comme si son combat n'avait pas existé. On a trahi mon fils.» L'argument de «contrainte morale» ? «Une hypocrisie», selon la mère de Vincent, qui trouve que le procureur Gérald Lesigne et la juge ont «manqué de courage». Le 2 janvier, à l'annonce des réquisitions de non-lieu du procureur, elle avait déclaré : «Cela a été difficile d'accepter d'enfreindre la loi. Maintenant, on me rend irresponsable, on dit que je n'étais pas trop consciente, que j'ai été en quelque sorte forcée de faire ce que j'ai fait. Je vais avoir beaucoup de mal à vivre avec ça dans ma tête» (Libération du 3 janvier). Elle a annoncé hier qu'elle se battrait «encore plus» pour une «loi Vincent Humbert», qui permettrait le suicide assisté dans certains cas.Loi «trop récente». L'argument de «contrainte morale» ne satisfait pas non plus tout à fait Me Bernard Lebas, avocat de Frédéric Chaussoy, qui aurait préféré l'utilisation de la loi du 22 avril 2005 sur la fin de vie. Un texte qui, selon l'avocat, «indique à quatre reprises que le médecin sauvegarde la dignité du mourant, et assure la qualité de sa vie en dispensant des soins», et lui demande d'«utiliser tous les moyens nécessaires pour assurer à chacun une vie digne jusqu'à la mort». Mais, selon l'avocat du médecin, la juge a considéré la loi «trop récente». Et préféré sortir un argument «des malles de nos grands-mères». Il reconnaît toutefois à la juge un «courage». Elle a osé une pointe piquante à l'égard des autorités, c'est-à-dire le procureur et le préfet. Elle a, en effet, ajouté à la «contrainte morale due à la médiatisation», argument avancé par le procureur Gérald Lesigne, un autre argument : la contrainte morale imposée par le «silence des autorités».«Pendant 48 heures, précise l'avocat, le médecin a été obligé de décider seul avec son équipe.» Il estime aussi que la juge a agi en «magistrate humaine». Lors de l'enquête, au bout de trois heures d'interrogatoire, le docteur Chaussoy lui a dit : «Je ne suis pas un assassin.» Elle lui a répondu : «Je le sais bien.» Ce matin, Frédéric Chaussoy retourne travailler. «Je suis de garde. La vie continue. Mon métier, c'est médecin.»
