Annonce Les Etats-Unis mettent en place leur gigantesque programme de bouclier antimissile Washington va annoncer, avant la fin de l'année, que la première phase de son projet de défense antimissile couvrant le territoire des Etats-Unis est opérationnelle. Bien que cet objectif stratégique soit passé au second plan depuis le 11 septembre 2001, il n'a pas été abandonné, au contraire. La Missile Defense Agency (MDA, agence fédérale chargée notamment de la défense antimissile) a poursuivi ses travaux, conformément au plan annoncé par le président Bush le 16 décembre 2002 : déployer, avant la fin 2004, une première capacité terrestre destinée à mettre en échec des tirs de missiles balistiques. Le directeur de la MDA, le général Trey Obering, a indiqué à plusieurs reprises que l'ensemble du système a été testé avec succès et que, pour la première fois de leur histoire, les Etats-Unis vont disposer d'une défense antimissile contre les " rogue states" (les "Etats voyous") et les futurs ennemis potentiels de l'Amérique. Ce projet est apparemment bien plus modeste que l'Initiative de défense stratégique (SDI) des années Reagan mais, si l'on additionne les différents programmes envisagés à long terme par la MDA, on s'aperçoit que l'approche de l'actuelle administration n'est qu'un avatar de la "guerre des étoiles" chère à l'ancien président républicain. La méthode choisie par les Américains est graduelle. Le "bouclier antimissile" doit se mettre en place par "couches", en additionnant, par "blocks" de deux ans, de nouvelles capacités. In fine, il est censé protéger les 50 Etats de l'Union, mais aussi les territoires des pays alliés et amis, ainsi que les troupes américaines déployées à l'extérieur. La première phase devrait comprendre 20 missiles intercepteurs stockés dans des silos situés sur la base aérienne Vandenberg, en Californie, et à Fort Greely, en Alaska. Sur ce total, 9 intercepteurs seraient en place fin 2004, les autres courant 2005. Ces missiles sont reliés à un maillage de radars, de satellites, d'ordinateurs et de postes de commandement dont la mission est de détecter le départ des missiles intercontinentaux (ICBM) ennemis, de les suivre et de guider les intercepteurs vers leur cible. Ce système utilisera des radars terrestres (situés en Alaska, en Californie et à Fylingdales, au nord-est de l'Angleterre) et d'autres installés sur des navires de guerre équipés du système de détection Aegis. Les intercepteurs chargés de détruire les missiles ennemis au cours de la phase intermédiaire de leur vol (la trajectoire des missiles balistiques inclut trois séquences : l'envol, la phase intermédiaire et la rentrée dans l'atmosphère) ne seront pas équipés de charge explosive mais de "kill vehicles" à effet cinétique munis de capteurs infrarouges pour suivre leur cible. Cette technologie, dite "hit to kill", suppose que l'intercepteur rencontre sa cible avec précision, à une vitesse cumulée dépassant 7 kilomètres/seconde, pour la désintégrer par simple collision. "C'est une balle de fusil contre une balle de fusil, puisque cela ne marche que si l'intercepteur percute la tête du missile ennemi : autrement dit, ce n'est pas gagné d'avance !", explique un fabricant français de missiles. Bien d'autres motifs nourrissent le scepticisme des experts quant à la valeur opérationnelle de la première phase du bouclier antimissile. Le dernier test d'interception grandeur nature a eu lieu le 11 décembre 2002 et le résultat escompté n'a pas été atteint. Sur huit tests, cinq succès d'interception et trois échecs ont été enregistrés. Aucun test n'a été réalisé de nuit et dans des conditions atmosphériques compliquées, et les missiles, dont la vitesse était limitée, étaient pratiquement dépourvus de contre-mesures. Tout au contraire, les intercepteurs possédaient des informations essentielles sur l'heure et la trajectoire des missiles ennemis, grâce à des balises incorporées dans la tête des missiles adverses. Pour pallier ces insuffisances, la MDA a recours à des simulations sur ordinateurs, dont la fiabilité est limitée par l'insuffisance des informations recueillies par les tests grandeur nature. D'où ce commentaire, au début de l'année, de Thomas Christie, directeur des programmes de tests du Pentagone : "En raison du caractère immature des systèmes qu'ils imitent, les modèles et simulations ne peuvent pas être validés de manière satisfaisante à ce stade." Toutes ces critiques ont été reprises dans plusieurs rapports du Congrès. Le sénateur démocrate John Kerry a accusé l'administration Bush de vouloir déployer à la hâte un système qui n'a pas été correctement testé, et de dépenser beaucoup d'argent pour une menace nettement moins urgente que celle d'attaques terroristes. Car la défense antimissile coûte chère, même si, comme on le souligne à la MDA, elle représente "moins de 3 % de l'ensemble du budget de la défense". Le budget de la MDA est de 7 à 8 milliards de dollars par an. Il devrait atteindre 10 milliards de dollars pour 2005. Certains experts estiment que le Pentagone a dépensé plus de 90 milliards de dollars pour les programmes de défense antimissile depuis 1983. Ce qui fait beaucoup d'argent pour un système dont la fiabilité est sujette à caution.