Exposition Les dessins cachés de Gustav Klimt, adorateur du corps féminin Le Musée Maillol présente les dizaines d'études de nus qu'a réalisées le peintre viennois. Des œuvres gracieuses, entre exhibition et stylisation, qu'il n'a jamais exposées. On prête à Aristide Maillol cette anecdote : sollicité pour réaliser un monument allégorique, il aurait répondu que ce serait une femme nue, car rien ne faisait une meilleure sculpture. Gustav Klimt aurait pu reprendre la maxime à son usage et affirmer que rien non plus ne pourrait faire un meilleur dessin. Mais, d'accord sur ce point, le Français et le Viennois ne l'étaient pas sur les canons de la beauté. Les bronzes de Maillol exaltent les volumes puissants, les ventres arrondis, les seins lourds. Les dessins de Klimt célèbrent la sveltesse, la souplesse, les seins petits, les bras grêles. Singulière rencontre pour le regard. On se gardera de se prononcer en faveur de l'un ou de l'autre idéal. Il s'agit chaque fois d'une stylisation systématique du corps féminin. La centaine de feuilles de Klimt, accrochées dans un ordre aussi chronologique que le permettent les incertitudes de datation, montrent comment ce qui a d'abord été observation d'après modèle devient une figure de style, qui se répétera du début du siècle à la mort de l'artiste, en 1918. Il a son type : une jeune femme d'entre 20 et 25 ans, plus jeune parfois. Elle a les cheveux longs, de grands yeux, la bouche mince, du moins quand son visage n'est dissimulé ni par un coussin ni par la chevelure. Le buste est peu galbé, presque maigre. Les jambes sont indiquées en peu de lignes. En fait, le corps se réduit à deux parties : le visage aux yeux clos et aux lèvres serrées par un spasme, et les hanches, les cuisses, le sexe et les doigts qui s'y enfoncent. Inlassablement, Klimt redessine l'articulation de la cuisse dans la hanche saillante, l'arrondi des fesses, le triangle pubien. Il demande au modèle des poses qui mettent en évidence la fonction sexuelle : accroupie, agenouillée et la tête plongeant en avant, renversée sur le dos les jambes écartées, ou l'une droite et l'autre repliée à angle aigu. Le reste disparaît dans les draps ou le vide du papier. D'un espace alentour, il n'est pas question. La focalisation du regard exclut tout ce qui n'est pas cette attirante "origine du monde". Dans les versions les plus simplifiées, il suffit de quelques lignes pour délimiter le bassin, quelques traits pour la toison pubienne et, plus appuyés, les traits anguleux de la main - et le profil. De l'étude d'après nature, il ne demeure que ces signes graphiques abrégés. Obsession est, dans ce cas, un mot faible. BRUTALITÉ ABSENTE Expliquer celle-ci n'est pas chose aisée, car il faudrait dans ce cas expliquer pourquoi Vienne, autour de 1900, fut non seulement la ville de Klimt, mais aussi celle de Schiele et de Freud, de Weininger et de Kokoschka : la ville où la pression des principes moraux et religieux a été si violente qu'elle a provoqué l'irruption de ce qu'il ne fallait ni montrer ni voir. La pesanteur de la censure a déterminé proportionnellement la force de la réplique, de l'inavouable à l'exhibition. Exhibition circonscrite cependant et tempérée par les effets de style, dans le cas de Klimt. Car, en dépit de son autorité de fondateur de la Sécession, l'artiste n'a pas exposé ses papiers érotiques. Ce ne sont pas non plus des esquisses, qu'il aurait développées dans ses peintures. Parce que la peinture est affaire publique et donc contrainte à plus de moralité ? Sans doute. Mais une autre raison peut être invoquée : sur le papier aussi, Klimt se passe de la couleur, à la différence d'Egon Schiele, qui accentue l'intensité sexuelle du dessin grâce à l'aquarelle et à la gouache. Klimt n'a pas cette audace définitive. Il se borne à troquer parfois la mine de plomb contre un crayon bleu et reste ainsi dans le seul travail du trait. En virtuose, il le pousse jusqu'à un degré de souplesse et d'élégance remarquable. Ces qualités font le charme de ces œuvres. Mais elles les privent de la brutalité physique qui se donne libre cours, au même moment, dans la peinture de Degas, de Picasso, de Kirchner, de Matisse ou de Nolde. Parfois, Klimt paraît plus proche de Boucher que de ses contemporains. Philippe Dagen "Gustav Klimt, papiers érotiques", Fondation Dina Vierny, Musée Maillol, 61, rue de Grenelle, Paris-7e. Tél. : 01-42-22-59-58. Mo Rue-du-Bac. Du mercredi au lundi, de 11 heures à 18 heures. 8 € . Jusqu'au 30 mai.