Cérémonie Les cérémonies du 9 mai tournent à la mise en cause de Moscou Proclamant que la victoire sur les nazis a été "une, pour tous" , les affiches qui décorent Moscou, à l'approche des cérémonies du 9 mai, commémorant la fin de la seconde guerre mondiale en Europe, ont du mal à masquer le fait que cet événement, conçu par le Kremlin comme l'occasion de rehausser le prestige de la Russie en rappelant ses faits d'armes et sa puissance passée, est entouré d'importantes discordes diplomatiques. Alors qu'une soixantaine de chefs d'Etat et de gouvernement, parmi lesquels George Bush, Jacques Chirac, Gerhard Schröder, le président chinois, Hu Jintao, le premier ministre japonais, Junichiro Koizumi, ainsi que le secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, doivent converger, le 9 mai, vers la capitale russe, pour assister à une grande parade militaire sur la place Rouge, célébrant la "victoire sur le fascisme" , plusieurs pays de l'ancien bloc soviétique ont choisi de se démarquer de la lecture de l'Histoire couramment faite en Russie en boudant la fête. Trois dates pour une même capitulation 7, 8 et 9 mai 1945 : trois dates pour une même capitulation sans conditions, qui fut signée à Reims, où s'était installé quelques semaines auparavant le quartier général des Forces expéditionnaires alliées en Europe sous le commandement du général Eisenhower. L'acte de capitulation fut paraphé le 7 mai à 2 h 41 par le chef d'état major allié, le général américain Bedell Smith, le chef de la Mission militaire soviétique en France, le général Sousloparov, avec le chef d'état-major de l'armée allemande, le général Jodl. Le général français François Sevez signa comme témoin. L'arrêt des combats était prévu pour le 8 mai. La capitulation donna lieu au lendemain de la signature de Reims, à une seconde cérémonie de signature au quartier général de l'armée rouge à Berlin, dans le quartier de Karlshorst, où se trouve aujourd'hui un petit musée dédié à l'événement. Les Soviétiques, qui avaient pris Berlin, tombée le 2 mai après dix jours de combats, ne voulaient pas être en reste. Pour eux, le jour effectif de la fin de la guerre est donc le 9 mai. [-] fermer Les présidents de l'Estonie, de la Lituanie et de la Géorgie ont choisi de ne pas prendre part aux commémorations. Les deux premiers veulent ainsi protester contre le refus officiel russe de dénoncer le pacte Ribbentrop-Molotov de 1939, qui a mené à l'invasion de leurs pays et à la déportation de centaines de milliers de Baltes par les organes du KGB. Le jeune président géorgien, Mikhaïl Saakachvili, a opté pour le boycottage afin de marquer sa frustration face aux blocages de Moscou concernant le retrait des troupes russes stationnées dans son pays. Mais le coup le plus dur porté aux intentions du Kremlin, qui espérait projeter l'image d'une Russie aux réalisations incontestables revenant en force sur la scène mondiale, au moment où une série de "révolutions démocratiques" dans l'ex-URSS ont érodé sa zone traditionnelle d'influence, est venu de George Bush. A la veille de son arrivée à Moscou, le président américain a appelé, cette semaine, les autorités russes à réviser leur appréciation du pacte conclu entre Staline et Hitler, en août 1939. APPELS "MALVENUS" Vendredi 6 mai, la Commission européenne a, à son tour, évoqué les conséquences des conquêtes territoriales de Staline en Europe, en "rendant hommage aux millions de citoyens pour qui la fin de la seconde guerre mondiale n'a pas signifié la fin de la dictature, et qui n'ont connu de véritable liberté qu'après la chute du mur de Berlin" . Le président polonais, Alexandre Kwasniewski, a déclaré, à l'approche des cérémonies, qu'il comptait sur le soutien de ses partenaires européens au cas où le régime de Vladimir Poutine chercherait à profiter du 9 mai pour glorifier en bloc le passé soviétique. "Maintenant que nous sommes membres de l'Union européenne et de l'OTAN, nous espérons que nos alliés se battront pour la vérité historique" , a-t-il dit. Moscou a réagi avec irritation à ces prises de position. Les appels à une condamnation du pacte Ribbentrop-Molotov, a déclaré Sergueï Iastrjemski, représentant spécial du Kremlin pour les relations avec l'Union européenne, sont "malvenus et inopportuns, à l'approche d'une date historique aussi mémorable" . L'entrée des troupes soviétiques dans les pays baltes ne peut "aucunement être qualifiée d'occupation" , a-t-il ajouté. Tentant de désamorcer la dispute, Vladimir Poutine a rappelé, lors d'un entretien accordé, jeudi, à une chaîne de télévision allemande, que le Congrès des députés du peuple (Parlement soviétique) avait "déjà dénoncé" en 1989, le pacte Ribbentrop-Molotov. Pour lui, la Russie n'a en conséquence aucune raison d'y revenir. M. Poutine a signifié qu'il n'était pas question, pour lui, de condamner publiquement Staline, "qui ne doit pas être comparé à Hitler" . La position de la France, dans cette polémique, a consisté à ménager les sensibilités officielles russes. Alors que George Bush a signifié qu'il profiterait de son tête-à-tête, dimanche soir, avec Vladimir Poutine pour "lui rappeler" que la fin de la guerre en Europe n'avait pas signifié pour tous la fin de l'oppression, Jacques Chirac n'a fait aucune allusion à ce thème, mais délivré un nouveau satisfecit au régime russe, qui mène, selon lui, des réformes "positives" . Dans un entretien accordé à l'agence russe Itar-Tass, le président français a placé l'accent sur "le rôle déterminant" du "peuple russe" dans la victoire des Alliés en 1945. Il a estimé que les commémorations du 9 mai, qui seront suivies, le lendemain, d'un sommet Russie-Union européenne à Moscou, devaient être l'occasion de réaffirmer que "l'Union européenne et la Russie" constituent "deux éléments essentiels du monde multipolaire de demain" . NOUVELLE DÉFIANCE Titrant en "une" , vendredi, sur "la bataille" de Moscou pour faire admettre "son interprétation des résultats de la seconde guerre mondiale" , les Izvestia ont relevé que les pages noires du passé soviétique revenaient en boomerang, à l'occasion des cérémonies du 9 mai, et fragilisaient la diplomatie russe dans toute la région. Le Kremlin a été décontenancé par la décision de George Bush ­ annoncée peu après sa rencontre houleuse avec M. Poutine en Slovaquie, fin février ­ de faire précéder son voyage à Moscou par un déplacement en Lettonie, où il doit rencontrer les présidents des trois Etats baltes. M. Bush doit effectuer en outre, le 10 mai, une visite historique en Géorgie, la première d'un président américain dans le Caucase, où il compte célébrer les aspirations des peuples de l'ex-URSS à "la démocratie et -à- la liberté" . Vladimir Poutine a pourtant cherché, par différents moyens, à dissiper les nuages diplomatiques planant sur les commémorations du 9 mai, dans l'espoir de retrouver le faste consensuel qui avait entouré les fêtes du tricentenaire de Saint-Pétersbourg, en mai 2003, dernier grand rassemblement de dignitaires étrangers en Russie. Le report, au 16 mai, du verdict d'un tribunal de Moscou contre Mikhaïl Khodorkovski, patron déchu de l'ex-géant pétrolier Ioukos, ainsi que le récent discours de M. Poutine au Kremlin en faveur de la "démocratie" et dénonçant les excès des "bureaucrates russes, qui ne doivent pas tyranniser" , relevaient de ce souci. Affaibli, sur le plan intérieur, par une montée du mécontentement social et, sur le plan extérieur, par la nouvelle défiance exprimée à l'égard de Moscou en Géorgie, en Ukraine, en Moldavie et (dans une moindre mesure) au Kirghizstan, le président russe est enfin soumis à un regain de pressions de Washington concernant ses liens avec le régime d'Alexandre Loukachenko en Biélorussie, qualifié par George Bush de "dernière dictature en Europe" .