Fermeture Les brunes parties en fumée A Lille, la dernière usine française des Gauloises et Gitanes a fermé hier. uatre ou cinq drapeaux CGT, un hygiaphone, des autocollants NON plaqués sur la barrière de l'entrée d'Altadis Lille, quelques restes d'un an de lutte pour un apéro d'adieu, hier. Les travailleurs de l'ancienne usine des Gitanes brunes et des Gauloises trinquent à la fermeture définitive du site, annoncée il y a déjà deux ans. Ils sont une cinquantaine et parlent, peu optimistes, des dernières fabriques de cigarettes de France, à Nantes et à Riom. Les femmes sont là, pomponnées, habillées de leur robe d'été fleurie. Leurs maris les entraînent pour un dernier petit tour dans les ateliers, où ils ont pointé pendant trente ans, en moyenne. Par grappes, sans joie, ils passent le poste de surveillance. Un gars essaie une touche d'humour : «Y a bien du monde, pourtant, on n'embauche pas ici.» 447 emplois supprimés et des regrets amers : «On comprend toujours pas pourquoi on ferme alors qu'on gagnait de l'argent», se lamente Michel. Il fait partie des 216 «mesures d'âge», les plus nombreux autour des tables de formica dressées à l'extérieur de l'enceinte de briques. Les plus jeunes ont souvent accepté les mutations en interne (81 personnes concernées). Les autres, 88 en tout, sont en reclassement : 40 ont retrouvé un CDI, 12 sont en formation, 6 vont créer leur entreprise. «En Pologne...». Le directeur d'Altadis Lille, Laurent Chabanne, se veut rassurant : «Nous sommes contents de ce résultat. Nous avons encore 30 personnes à recaser et nous poursuivrons notre effort jusqu'à fin 2006, voire 2007 s'il y a des cas plus difficiles.» Sur les bénéfices dégagés par l'usine, pas de chiffre disponible. «Le groupe a décidé de garder une seule usine de cigarettes brunes et il a choisi celle d'Alicante, en Espagne, car les Espagnols en 2006 achèteront deux fois plus de brunes que les Français», dit-il. Le démontage des chaînes a commencé. «La X2, qui fabriquait des cigarettes à filtre et les mettait en paquets, est partie en Pologne..., résume Jacques Crombez, membre CGT du comité d'entreprise. Une des HSM, qu'on appelle les "ultra hot vitesse", va en Espagne, les deux autres à Nantes.» Il parcourt les allées, démarche lourde. «Il est impressionnant le silence, non ?» Il se laisse aller aux souvenirs. «On l'a appris dans ce couloir, le 23 juillet 2003. On savait qu'il y avait un comité central d'entreprise et on avait demandé à un copain qui y assistait de nous appeler, pour donner des nouvelles. Il y avait des rumeurs de restructuration, mais Lille était l'usine la plus moderne, on se disait qu'ils proposeraient des retraites anticipées volontaires et que ça s'arrêterait là. Et le copain a annoncé la fermeture.» Des 19 milliards de cigarettes produites chaque année, on voit des filtres, des cartons vides estampillés du fameux casque de Vercingétorix. Les machines-outils sont en parfait état, modernes, Altadis n'est pas encore une friche industrielle. On pourrait se croire entre deux services, ou pendant une grève. Jacques Crombez tombe en arrêt devant une photo, encore accrochée à une machine : un homme montre le beau paquet cadeau qu'il s'apprête à ouvrir. «Ce sont des copains. Comme ils n'avaient pas de pot de départ pour leur retraite anticipée, ils se sont offert des cadeaux entre eux.» Stade de foot. Il fallait bien s'occuper les six derniers mois : depuis janvier, les ouvriers venaient, payés à ne rien faire, puisque la production s'était arrêtée. Dehors, les gars blaguent sur l'avenir de leur usine. Les rumeurs (infirmées par la mairie, qui soutient la vocation industrielle du site) évoquent l'arrivée du futur stade de foot lillois. Michel, supporter du Losc, en a les yeux qui pétillent. Mais quand on lui demande s'il viendrait voir son équipe jouer là, il baisse la tête. La voix flanche. «Non, ça, je pourrais pas. Revenir, je pourrais pas.»