Procès Les assassins du «banquier de Dieu» à la barre du tribunal de RomeITALIE Vingt-trois ans après la mort de Roberto Calvi, retrouvé pendu à Londres, le procès de ses meurtriers rouvre un dossier qui mêle la Mafia, la loge P 2 et le Vatican. UN QUART DE SIÈCLE après le scandale du Banco Ambrosiano, dans lequel Vatican, franc-maçonnerie et Mafia ont été impliqués, un tribunal juge à partir d'aujourd'hui les responsables de l'assassinat de son président Roberto Calvi, surnommé le «banquier de Dieu».Le 18 juin 1982 à 7 h 25 du matin, Anthony Huntley, un postier londonien, qui se rendait à son bureau, remarqua un corps qui pendait à l'une des arches métalliques du pont de Blackfriars, non loin de la City. Très vite, le pendu fut identifié comme étant Roberto Calvi, 62 ans, disparu huit jours auparavant de son domicile milanais et recherché par toutes les polices d'Europe pour un krach frauduleux de 1,2 milliard de dollars.Enquête hâtive Le coroner (le médecin légiste londonien) conclut rapidement au suicide, malgré certaines incohérences évidentes. Et Scotland Yard s'empressa de clore son enquête. Ni la justice italienne, ni la famille n'acceptèrent ce verdict hâtif. Fabrizio Iecher, le médecin légiste dépêché à Londres par le tribunal de Rome, s'étonne dans son rapport qu'un homme de son âge pesant 82 kilos ait pu escalader un échafaudage aussi vertigineux tout en étant lesté de cinq lourdes pierres retrouvées sur lui avant de se jeter dans le vide, une corde au cou. Il faudra attendre vingt et un ans pour que Scotland Yard rouvre son enquête. Dès 1997 toutefois, un parquet romain avait inculpé du meurtre de Roberto Calvi l'ex-trésorier de Cosa Nostra, Pippo Calo, ainsi que Flavio Carboni, homme d'affaires sarde affilié à la loge maçonnique secrète P 2, à l'origine d'un scandale retentissant concernant des trafics d'influence et de subversion au début des années 80. Pippo Calo, arrêté en mai 1985 et déjà condamné à perpétuité, ainsi que Flavio Carboni, comparaîtront ce matin devant la deuxième cour d'assises de Rome pour «participation à l'homicide de Roberto Calvi». Ainsi que trois coaccusés : Silvano Vittor, contrebandier de Trieste qui a accompagné le banquier dans sa rocambolesque fuite à travers l'Europe, passant par Klagenfurt (Autriche), avant de le conduire à Londres en avion privé. Un certain Ernesto Diotallevi, chef d'une bande de truands romains liée à Cosa Nostra, est retenu comme l'un des auteurs matériels du meurtre. Ainsi qu'une jeune Autrichienne, Manuela Kleinszig, qui fut de l'ultime voyage à Londres. C'est un repenti de la Mafia, le «boss» Antonino Giuffré, qui a révélé circonstances et responsables de cette mort : «Pippo Calo avait remis à Calvi d'énormes quantités d'argent sale à recycler. Le banquier les ayant mal investies, la Mafia a décidé de se venger en l'éliminant.»Simulacre de suicide A Londres, Roberto Calvi a été conduit par Vittor dans une résidence du quartier de Chelsea. Pendant quatre jours, il ne quittera pas sa chambre. Toutes les vingt minutes, Vittor sortait pour téléphoner. Le 17 juin au soir, Flavio Carboni rend visite au banquier, puis prend congé. Vittor le suit. Des hommes de main font irruption et enlèvent Calvi. Après l'avoir chloroformé, ils l'emmènent en barque sous le pont de Blackfriars où ils organisent le simulacre de suicide.Que voulait faire Calvi à Londres ? D'après sa famille, contactée à deux reprises par téléphone, il cherchait des fonds pour sauver le Banco Ambrosiano. Personnage réservé et silencieux, Calvi avait pris du grade dans la banque, dont il avait été un cadre subalterne pendant trente-cinq ans. Il en devient vice-président en 1974, en même temps qu'il adhère à la loge P 2. Nommé président l'année suivante, il a transformé cette respectable maison de crédit milanaise, fondée au début du siècle dernier par un évêque et très liée à la finance catholique, en un centre de pouvoir occulte. Développant circuits parallèles et finance offshore. Et cherchant à sauver du désastre financier l'escroc sicilien Michele Sindona, emprisonné par la suite aux Etats-Unis pour un krach frauduleux.Prélat crédule Usant de ses entrées au Vatican, qui lui valaient sa réputation de «banquier de Dieu», Roberto Calvi abusa de la crédulité de Mgr Paul Marcinkus, évêque américain d'origine lithuanienne qui présidait l'Institut pour les oeuvres de religion (IOR), la puissante banque du Saint-Siège. Il lui fit signer des «lettres de garantie» dont il se servit comme caution pour ses investissements hasardeux. La majeure partie des fonds détournés s'est perdue dans le dédale des sociétés fictives montées de toutes pièces aux Bahamas et autres paradis fiscaux.Peu avant de quitter l'Italie, Roberto Calvi avait menacé : «Un tas de gens ont un tas de comptes à rendre dans cette affaire. Je ne suis pas sûr de savoir qui ils sont, mais tôt ou tard, cela sortira.» Pour le repenti Giuffré, il signait là son arrêt de mort.
