Ouverture Les "Arts déco" renaissent Les sept cents convives du dîner de gala, donné mardi 12 septembre, au nouveau Musée des arts décoratifs, auront été les premiers à en mesurer l'ampleur : la nef de l'aile Rivoli du palais du Louvre a retrouvé son volume et la mosaïque du sol a été restaurée dans son intégrité. Le plancher intermédiaire, qui avait été installé au début des années 1980, est supprimé : la voûte apparaît avec ses ouvertures circulaires, le monument respire. Après dix ans de fermeture, les collections se déploient de part et d'autre de cette rue intérieure, qui sera consacrée, avec les espaces latéraux du niveau bas, aux expositions temporaires. Dans les étages, les salles claires offrent des vues nombreuses côté jardins du Carrousel ou côté rue de Rivoli. Le parcours proposé aux visiteurs est pour l'essentiel chronologique, du Moyen Age au XXe siècle, mais n'a rien d'homogène ou de convenu. Il est ponctué de surprises, de collections particulières, de salles thématiques et d'une dizaine de period rooms où sont reconstitués, dans un décor authentique, des ensembles concernant une époque ou un style. Des salons à boiseries peintes, des ensembles de sièges exprimant la virtuosité des ébénistes alternent avec des pièces extravagantes réalisées pour les expositions universelles, des frises sculptées redécouvertes dans les greniers, des chinoiseries et des collections de verres et de cristaux, de faïences et de porcelaines : quelque 6 000 objets en tout. Les meilleures productions des manufactures royales de Sèvres, mais aussi les créations de Lalique et de Christofle annoncent les révolutions formelles de l'Art nouveau avec les créations de Gallé, de Majorelle et d'Hector Guimard et conduisent vers un XXe siècle protéiforme. Ouvrant sans relâche de nouvelles voies vers l'affirmation du "beau dans l'utile", il court, du bureau-bibliothèque de Pierre Chareau pour l'exposition des Arts déco en 1925, de l'appartement créé pour Jeanne Lanvin à son image, en bleu et blanc, par le décorateur des Années folles Armand-Albert Rateau, aux collections de meubles de Ruhlmann. Elles voisinent avec celles du couturier Jacques Doucet, qui préfère le cubisme et l'inspiration africaine. Elles préfacent l'arrivée des matériaux industriels, le fer, puis le plastique, travaillés par René Herbst, Robert Mallet-Stevens, Charlotte Perriand, Jean Prouvé. Puis Jean Royère le fantaisiste annonce les évocations joyeuses et colorées du nouveau design français à partir des années 1980. Eclat et somptuosité du XVIIIe siècle, apogée du haut artisanat, de l'ébénisterie et des métiers, surabondance ornementale du XIXe siècle, dépouillement progressif du mobilier architecturé du XXe siècle, nouvelles matières, nouveaux usages, il y a plusieurs musées dans le nouveau Musée des arts décoratifs. Il y aussi plusieurs équipes d'architectes, et bien malin qui pourra le discerner sur place. La maîtrise d'ouvrage, comme on dit, porte bien son nom. Dans la discrétion de cinq années de négociations dont on devine qu'elles ne furent pas simples, a été mené à terme un projet unifié et divers, harmonieux et fluide, où n'apparaissent qu'en positif les différences de signature entre les architectes. Daniel Kahane pour la nef et les espaces de circulation, Oscar Tusquets et Bruno Moinard pour les galeries des collections permanentes, Bernard Desmoulin pour les galeries d'étude, où il a installé un dispositif de vitrines affichant leur caractère techno avec élégance, et Sylvain Dubuisson pour le remaniement du pavillon de Marsan, qui accueille sur cinq niveaux le XXe siècle. "Nous avons conservé les quatre équipes et assumé le projet", précise Béatrice Salmon, aujourd'hui directrice des Musées de l'Union centrale des arts décoratifs (UCAD), responsable de la coordination et de la remise en route d'un programme alors en pleine confusion. Nommée en décembre 2000, alors qu'elle venait de réussir à Nancy l'extension du Musée des beaux-arts, elle n'a pas rattrapé les retards accumulés. Mais le résultat de ce travail collectif permet de dire aujourd'hui qu'ils seront effacés. UN ENSEMBLE NEUF Après ces dix années d'interruption, les visiteurs seront nombreux à découvrir pour la première fois les richesses d'un patrimoine oublié. Certains se souviendront du lieu mythique qui, dans les années 1960 et 1970, sous l'impulsion de son directeur François Mathey, avait bousculé les habitudes d'alors et montré, avec intelligence et fantaisie, les avancées de la modernité dans la publicité, le mobilier, l'architecture et les arts graphiques. Les idées et la manière ludique de ce précurseur avaient inspiré les premières intentions du Centre Pompidou à son ouverture en 1977. Aujourd'hui, le design et l'architecture, le graphisme et la mode font naturellement partie du domaine culturel, mais il a fallu quelques pionniers pour faire admettre ce champ d'exploration des formes. Aussi les "Arts déco", comme on les surnomme couramment, ont-ils joué un rôle particulier dans cette histoire. Privés durant dix ans de leur fréquentation, rassurés par l'installation de la mode, puis de la publicité, au 107, rue de Rivoli, encouragés par l'ouverture de la bibliothèque en 2002, puis de la galerie des bijoux en 2004, les amateurs vont découvrir un ensemble complètement neuf. Et ceux qui aiment les croisements, les rencontres d'objets insolites, seront ravis par l'une des premières expositions de la galerie d'étude (qui changera chaque année). Sur le thème "S'asseoir", elle décline, du trône au tabouret, de la méridienne à l'indiscret, mille ans et mille manières de se poser pour mieux avancer. Une symbolique à méditer. Musée des arts décoratifs, 107, rue de Rivoli, Paris-1er. Mo Palais-Royal, Tuileries, Pyramides. Tél. : 01-44-55-57-50. Du mardi au vendredi de 11 heures à 18 heures, jeudi jusqu'à 21 heures, samedi et dimanche de 10 heures à 18 heures. De 6,50 € à 8 €.