Récompense L'équerre d'argent récompense aujourd'hui l'institution nationale, astucieusement installée dans un ancien bâtiment administratif A Pantin, le Centre de la danse couronné Le Centre national de la danse est plus qu'une réhabilitation : «Antoinette Robain etClaire Guieysse ontvéritablement réussi une oeuvre architecturale», assure Frédéric Lenne, directeur des éditions du Moniteur. Il remet aujourd'hui l'équerre d'argent 2004 aux deux architectes. (Photos Jean-Marie Monthiers et Luc Boegly.) Il y aura un avant et un après à Pantin. Dans la commune de Seine-Saint-Denis, il y avait autrefois – il n'y a pas si longtemps – sur les bords du canal de l'Ourcq, un mastodonte administratif détesté des administrés. Au printemps dernier, dans cet édifice gigantesque, le Centre national de la danse (CND) a installé son monde tout en souplesse. L'heureuse métamorphose opérée par les architectes Antoinette Robain et Claire Guieysse vaut aujourd'hui à l'édifice d'être récompensé par l'équerre d'argent 2004. Ce prix est accordé à une réhabilitation quasiment pour la première fois. Décerné depuis 1983 par le groupe de presse spécialisé du Moniteur, il récompense la meilleure réalisation architecturale française de l'année, et donc généralement des constructions neuves, à l'exception, en 1997, de l'opération extension et réhabilitation du Musée des beaux-arts de Lille. Ce 22e trophée sera remis aujourd'hui même à Pantin, en même temps que le prix de la première oeuvre (voir ci-dessous). Réuni en octobre dernier, le jury international avait également attribué des mentions à deux opérations de logements. Réalisées par Philippe Prost dans la ZAC Réunion à Paris (XXe) et par Vincen Cornu à Montreuil-sous-Bois, elles avaient paru «deux approches pertinentes, des exemples à regarder de près», analyse Frédéric Lenne, le directeur des éditions du Moniteur. Mais, à Pantin, c'est en quelque sorte la revanche d'un mal-aimé que l'on célèbre. La cité administrative municipale avait été façonnée dans le béton brut par l'architecte Jacques Kalisz à l'aube des années 70. L'âpre bâtiment accueillait des institutions aussi riantes que l'ANPE, la Sécurité sociale ou le commissariat derrière sa façade très découpée, évoquant des masques primitifs ou des codes-barres. «Kalisz en parlait comme d'une dentelle, raconte Bertrand Kern, l'actuel maire socialiste de Pantin, guère convaincu. C'était vraiment brut de décoffrage. Puis cela avait noirci et des parties de béton étaient tombées.» Le bâtiment avait beau être reconnu comme un exemple d'architecture «brutaliste» par la profession, les Pantinois ne lui portaient pas grande estime. Une fois les administrations parties, on hésita même à le raser.«Les Français n'aiment pas le béton», constate sobrement Claire Guieysse. La jeune femme ne souffre d'aucune réticence de la sorte. Avec Antoinette Robain, elle n'hésita pas à s'attaquer au monstre. Pour l'apprivoiser et réussir «à le faire aimer, dit-elle. Ce bâtiment avait du potentiel par sa qualité architecturale. Il fallait le valoriser et montrer que la fonction avait changé.» Puisque l'État cherchait un lieu pour soutenir la création chorégraphique, la ville de Pantin lui céda son bâtiment pour le franc symbolique. Mené par l'établissement public de maîtrise d'ouvrage des travaux culturels (Émoc) pour le compte du ministère de la Culture, le chantier consista alors à vider totalement l'édifice. En revanche, tout le béton fut gardé, sauvé même quand cela était nécessaire. On y glissa alors onze studios de répétition, une médiathèque, une salle d'exposition, des lieux de conférences... Le tout relié par des couloirs étonnamment larges. Le CND apparaît en effet très à l'aise dans sa nouvelle peau, car «le bâtiment bénéficie d'une générosité d'espace totalement incroyable aujourd'hui», note Claire Guieysse. Ce luxe en mètres carrés manque cependant à l'espace de représentation qui apparaît, lui, un peu restreint. En tout cas, à entendre Frédéric Lenne, l'opération dépasse la simple reconversion. «Antoinette Robain et Claire Guieysse ont véritablement réussi une oeuvre architecturale, assure-t-il. Elles ont su respecter une forme tout en utilisant chaque espace pour l'adapter au programme». Surtout, elles ont réussi à donner un peu de décontraction à ce poids lourd. «Aujourd'hui le bâtiment a une légèreté étonnante par rapport à sa dimension», constate François Laroche-Valière, l'un des tout premiers chorégraphes à avoir fréquenté les lieux. Une impression que viennent accentuer, la nuit venue, les lumières d'Hervé Audibert. Leurs tons acidulés font notamment des impressionnantes rampes de l'escalier du hall un serpentin monumental. Alors monsieur le maire semble revenu sur ses réticences passées et s'enthousiasme : «On a l'impression que ce bâtiment a toujours été fait pour accueillir de la danse.» Façon de dire, sans doute, que cette équerre d'argent est méritée. Le prix aura peut-être aussi valeur d'exemple. Car la résurrection d'édifices des années 60-70 est dans l'air du temps et les réhabilitations, note-t-on, deviennent même une part de marché importante. Saluer la réussite d'une telle transformation pourrait encourager à donner une seconde chance à des bâtiments qui, selon Frédéric Lenne, «ne correspondent plus aux usages mais sont des oeuvres à part entière». Même si cela ne saute pas toujours aux yeux.
