Annonce L'enquête cachée de la DST qui oppose M.  Sarkozy à M.  de Villepin Le ministre de l'économie est accusé par un mystérieux corbeau d'être le titulaire de comptes occultes placés à l'étranger. Il reproche au ministre de l'intérieur de tenir secrète une investigation du contre-espionnage qui le mettrait hors de cause. Son collègue dément toute dissimulation. L'affaire Clearstream n'est peut-être pas une affaire ; c'est au moins, désormais, le sujet d'un affrontement lourd d'arrière-pensées entre deux des principaux ministres du gouvernement : Nicolas Sarkozy et Dominique de Villepin. Résumé à gros traits, l'objet de ce désaccord au sommet est le suivant : présenté dans un listing adressé anonymement à la justice comme détenteur de comptes occultes à l'étranger - auprès de la société luxembourgeoise Clearstream -, M. Sarkozy reproche à M. de Villepin de tenir secrètes les conclusions d'une enquête de la direction de la surveillance du territoire (DST) qui aurait permis de le mettre hors de cause et de déjouer une "manipulation" dont il se dit la victime. Si le ministre de l'intérieur minimise l'ampleur du litige, assurant avoir imposé à ses services "la plus grande transparence possible", l'entourage de M. Sarkozy se montre moins apaisant, dénonçant un "manque de loyauté, sinon davantage". Les deux ministres se sont expliqués, le 15 octobre, dans le bureau de M. de Villepin et en présence du chef de la DST, Pierre de Bousquet de Florian, qui a montré au ministre de l'économie une note de ses services. Mais le récit de l'entretien diffère selon l'identité du narrateur : M. de Villepin en a tiré le sentiment d'avoir "dissipé tout malentendu" ; M. Sarkozy reste convaincu que des choses sont cachées. "Je n'ai qu'une demande, déclare au Monde le ministre de l'économie : un service de l'Etat a connaissance d'une manipulation qui me vise et détient des renseignements ; ce que la police sait, il faut que la justice le sache aussi." De fait, les recherches effectuées par la DST n'ont pas, à ce jour, été portées à la connaissance de l'autorité judiciaire. C'est pourtant bien pour s'assurer de la crédibilité des éléments envoyés au juge Renaud Van Ruymbeke par un expéditeur inconnu que le service de contre-espionnage avait été mobilisé, au début du mois de juillet. "Dans la mesure où cette affaire apparaissait susceptible de mettre en cause l'intérêt national, j'ai demandé à la DST de m'apporter tous les éclaircissements possibles", explique M. de Villepin. L'hebdomadaire Le Point venait alors de publier un long article relatant le contenu des envois anonymes : lettres et cédéroms recensant des milliers de comptes bancaires à l'étranger, tous censés être administrés par Clearstream et dissimuler des avoirs frauduleux. M. Sarkozy n'y était pas nommé, mais la mise en cause d'"anciens ministres" et de dirigeants industriels dans l'aéronautique et la défense y était évoquée. Ce n'est que le 17 septembre que Le Parisien dévoilera les noms des politiques dénoncées par le "corbeau", dont celui du ministre de l'économie - assortis de leurs démentis catégoriques. Dans l'intervalle, la DST s'était fait une opinion, mais elle l'a gardée pour elle. Contestant toute volonté de dissimulation, M. de Villepin justifie le silence du contre-espionnage en certifiant que "rien de concret ni de probant n'est ressorti de - son - enquête". Il affirme, au passage, que M. Sarkozy fut informé "en temps et heure" par le garde des sceaux, Dominique Perben, des mentions qui le visaient dans le listing reçu par le juge - ce que la chancellerie, sollicitée lundi 8 novembre, n'a ni confirmé ni démenti. Le ministre de l'intérieur assure enfin avoir donné instruction au directeur de la DST d'informer le parquet des éléments recueillis par son service. SOUPÇONS SUR "LE CORBEAU" M. de Bousquet de Florian s'est ainsi discrètement entretenu, dans les derniers jours d'octobre, avec le procureur de Paris, Yves Bot. Mais la recommandation formulée par ce dernier, qui préconisait la transmission officielle des notes de la DST au parquet, n'a pas été suivie d'effet. De sorte que l'ampleur, la durée et les conclusions des investigations du contre-espionnage sur l'affaire Clearstream restent incertaines. Visiblement embarrassée, la haute hiérarchie policière parle de "simples vérifications", qui n'auraient duré que "vingt-quatre ou quarante-huit heures". Mais plusieurs sources proches des services de renseignement évoquent une enquête approfondie qui aurait eu recours aux écoutes téléphoniques, aurait mis en exergue la thèse d'un montage et irait jusqu'à l'identification de l'informateur anonyme de M. Van Ruymbeke : cadre dirigeant d'un grand groupe industriel, cet ancien haut fonctionnaire passé par le Quai d'Orsay est soupçonné d'avoir agi en vertu de mobiles inconnus, mais qui pourraient trouver leur source dans des conflits internes au monde de l'armement. La DST a surtout établi que cet homme avait recruté, il y a quelques mois, un informaticien de haut niveau, condamné par le passé dans une affaire de piratage de fichiers confidentiels ; le rapprochement a aussitôt été effectué avec l'accès aux archives luxembourgeoises de Clearstream, d'où proviennent d'évidence les listings reçus par le juge, même s'ils semblent avoir ensuite été falsifiés. Cet indice-là n'a pas non plus été livré à la justice. Pour l'heure, M. Van Ruymbeke et les personnalités mises en cause en sont réduits à attendre le retour des commissions rogatoires du Luxembourg, qui mesureront, d'ici à la fin de l'année, la part du vrai et du faux dans les documents reçus par le juge. A ce stade, leur mystérieux expéditeur en a révélé davantage sur les tensions internes au gouvernement que sur les financements occultes de la politique française.