Record Le solo d'enfer d'Ellen MacArthur autour du globe La Britannique a bouclé son éprouvante circumnavigation, en doublant l'île d'Ouessant dans la nuit de lundi 7 à mardi 8 février. En 71 jours, 14 heures et 18 minutes et 33 secondes, elle s'est appropriée le record du tour du monde en solitaire, détenu depuis février 2004 par Francis Joyon.Chaque mois de janvier au Salon nautique de Londres, les Britanniques récompensent leurs meilleurs marins. En 1995, le lauréat était un illustre récidiviste. Premier navigateur à avoir bouclé, en 1968-1969, un tour du monde en solitaire sans escale au bout de 313 jours, Sir Robin Knox-Johnston avait repris la mer en 1994 avec Sir Peter Blake, une autre légende de la voile, pour conquérir en 74 jours le Trophée Jules-Verne, décerné à l'équipage le plus rapide autour du monde. Intimidée au côté de cette idole, une frêle jeune fille de 18 ans recevait le prix du "Jeune marin de l'année". Qui se serait alors douté que cette cérémonie était un passage de relais ?Dix ans plus tard, Ellen MacArthur a franchi la ligne d'arrivée virtuelle entre l'île d'Ouessant (ouest de la France) et le cap Lizard (sud-ouest de l'Angleterre), dans la nuit de lundi 7 à mardi 8 février. Elle a ensuite mis le cap sur Falmouth, le port des Cornouailles où Knox-Johnston avait aussi terminé son périple, pour signer l'un des plus grands exploits de la voile en devenant le deuxième navigateur, après Francis Joyon en février 2004, à terminer un tour du monde en solitaire sans escale sur un multicoque. Mieux ! En terminant son périple en moins de 72 jours, elle a amélioré le record de ce dernier d' un jour, 8 heures, 35 minutes et 49 secondes sur Joyon (72 j 22 h 54 min et 22 s) et succéder à une dizaine de Français au palmarès des solitaires les plus rapides autour du globe.Depuis sa deuxième place derrière Michel Desjoyeaux dans le Vendée Globe 2000-2001, les Anglais, nostalgiques de leur suprématie maritime et créateurs des premières épreuves de voile, ont trouvé leur Jeanne d'Arc dans cette jeune fille au visage poupin sous des cheveux coupés très courts mais dotée d'un courage, d'une endurance et d'une détermination à toute épreuve pour remettre en question vingt-cinq ans de domination des Français et de leurs étranges libellules appelées multicoques dans les courses océaniques.Vendue à plus de 450 000 exemplaires, Taking on the World, sa biographie, publiée en 2002, leur avait révélé la vocation aussi précoce qu'exceptionnelle de cette gamine élevée à la campagne dans le Derbyshire, au cœur de l'Angleterre, qui avait ressenti l'appel de la mer à 4 ans à l'occasion d'une sortie sur le bateau de sa tante, puis avait économisé chaque jour pendant huit ans son argent pour la cantine (1 £) afin de s'offrir à quinze ans un voilier d'occasion.Depuis sa rencontre, pour la Route du rhum 1998, avec les responsables de Kingfisher, un géant mondial du bricolage, de l'électroménager et de l'ameublement, Ellen MacArthur n'a plus de problème de financement. Un deuxième contrat lui a permis de faire construire un monocoque de 60 pieds (18,28 m) pour le Vendée Globe 2000-2001. Un troisième, signé pour 5 ans en 2001, incluait le rachat d'un maxi-catamaran de 32,80 m pour le Trophée Jules-Verne, la construction d'un trimaran de 75 pieds (22,8 m) pour des tentatives de record en solitaire et le rachat d'un trimaran de 60 pieds pour la Route du rhum 2006 ! "Kingfisher n'est pas venu pour la voile, explique Mark Turner, associé de la navigatrice dans Offshore Challenges, leur écurie de course. C'est Ellen, son histoire et ses exploits qui les intéressent."Le budget de 680 000 € alloué à Francis Joyon par IDEC pour son record lui avait tout juste permis de louer le vieux trimaran d'Olivier de Kersauson, construit en 1985 puis transformé pour la conquête du Trophée Jules-Verne en 1997, de faire redessiner un safran plus tolérant avec le pilote automatique et d'acheter deux voiles neuves (solent et gennaker). Faute de moyens pour un chantier, c'est en artisan, avec son frère Christian, qu'il avait dû repeindre le bateau à flot, transformer le plan de pont pour l'adapter aux manœuvres en solitaire, installer une éolienne et des panneaux solaires et refaire les installations électriques et électroniques."Je navigue avec un cahier rempli de chiffres avec les caps et les vitesses de Francis, racontait Ellen MacArthur après son départ. C'est comme si c'était un vrai concurrent." Dans ce duel virtuel, elle a pris l'avantage dès le septième jour de navigation et ne l'a brièvement cédé que le cinquante-neuvième, après avoir dû réparer une avarie de chariot et de rail de grand-voile en montant par deux fois au mât jusqu'à 25 mètres.La sécheresse des chiffres traduit mal la résistance à la fatigue et au sommeil, l'abnégation pour adapter sans cesse la voilure aux conditions de vent, les efforts colossaux déployés pour les manœuvres par ce petit bout de femme de 1,60 mètre pour maîtriser en solitaire un trimaran de 22,80 mètres et le mener à plus de 16 nœuds (29,6 km/h) de moyenne pendant 27 300 milles (50 560 km) !"La différence entre un tour du monde en monocoque et en multicoque, c'est le stress, dit-elle. Les manœuvres sont plus dures sur le trimaran et tout va plus vite, surtout les ennuis. Je ne parviens pas à mettre mon cerveau en veille."Son épuisement était tel qu'elle est probablement le seul marin à avoir doublé le cap Horn en furie, balayé par des rafales à 60 nœuds (110 km/h), sans même s'en apercevoir ! Alors que Castorama surfait à 30 nœuds (55 km/h), grand-voile affalée et sous trinquette (plus petite voile d'avant), Ellen MacArthur s'était écroulée dans sa bannette.Entre Francis Joyon, colosse solitaire parti avec "l'envie de réaliser un rêve de gamin" sans assistance extérieure, et Ellen MacArthur, qui a reçu plus de 50 000 mails de soutien durant son périple, la différence pour le record a peut-être tenu au... routage.La navigatrice recevait toutes les 6 heures des analyses et appelait, jusqu'à huit ou neuf fois par jour, les météorologistes de Commanders Weather aux Etats-Unis. "La situation sur l'océan est souvent différente de celle qu'ils voient sur leurs ordinateurs, mais c'est d'une grande aide, avoue-t-elle. C'est difficile de la chiffrer, mais mener ce bateau a été tellement dur pour moi que je ne serais pas allée aussi vite sans eux."
