Scandale Le scandale des dossiers de l'ancienne sécurité d'Etat ravage la BulgarieUn agent qui s'ignorait. Voilà ce qu'était au début des années 1980 l'actuel président de la Bulgarie. Sous la pression de l'opinion publique, le socialiste Gueorgui Parvanov a fini par avouer, le 23 juin, avoir collaboré aux services de la sécurité d'Etat, ajoutant qu'à l'époque, il ne savait pas où atterrissaient ses contributions écrites.Depuis deux mois, la Bulgarie est secouée par le "scandale des dossiers". Ce petit pays des Balkans, très réticent à scruter son passé, est l'un des seuls de l'ancien bloc communiste à ne pas avoir réglementé l'accès aux documents de l'époque totalitaire. Une loi allant dans ce sens avait été votée en 1997, mais en avril 2002, elle a été abrogée par la nouvelle majorité de Siméon de Saxe-Cobourg, l'ex-roi retourné dans son pays pour en devenir le premier ministre durant quatre ans. Ce dernier a par ailleurs été cité en juin dernier dans le cadre de l'affaire Victor-Emmanuel de Savoie, accusé par la justice italienne de corruption et de proxénétisme.Outre le passé crapuleux de tel ou tel homme politique, magistrat, journaliste ou homme d'affaires bulgares, que pourraient nous apprendre les archives de la sécurité d'Etat ? Elles feraient sans doute la lumière sur les assassinats politiques perpétrés par les services secrets bulgares sur le territoire de "pays ennemis", et notamment, leur éventuelle implication dans l'attentat raté contre le pape Jean Paul II en 1981. On connaîtrait mieux les canaux de trafic d'armes et de narcotiques avec les pays arabes (dont l'Irak), mis en place et gérés par la République populaire bulgare. Ces mêmes trafics, la Bulgarie doit aujourd'hui les combattre pour adhérer à l'Union européenne. Enfin, on pourrait découvrir la manière dont se sont évaporés des milliards de dollars des caisses de l'Etat, après la chute du régime. Au début des années 1980, le Parti communiste avait décidé de créer des joint-ventures "de commerce extérieur" à l'étranger, principalement en Autriche. Des capitaux importants auraient été transférés vers ces nébuleuses financières gérées par des agents des services secrets. Ayant atteint le nombre de 350 selon certaines sources, elles cessent leur activité après 1989. Une partie de leurs capitaux serait retournée en Bulgarie entre les mains de leurs anciens gérants, qui se fonderont dans l'oligarchie bulgare, aux manettes du pouvoir économique."LA SÉCURITÉ D'ÉTAT ÉTAIT L'ENFANT CHÉRI DU PARTI COMMUNISTE BULGARE""Notre démocratie se développe dans la dépendance de ces dossiers. Les anciens agents sont manipulables. Les chantages mutuels, la corruption prospèrent. En outre, ouvrir les archives serait une manière de nous émanciper de la Russie, car la totale soumission de la sécurité d'Etat bulgare au KGB n'est un secret pour personne", explique Christo Christov, journaliste d'investigation, un des rares à avoir su profiter de l'ouverture momentanée des archives. Fruit de son travail : un remarquable ouvrage de mille pages qui identifie pour la première fois l'assassin de Gueorgui Markov, l'intellectuel bulgare empoisonné à Londres en 1978 avec le devenu célèbre "parapluie bulgare". Le scandale des dossiers a éclaté en mai dernier, lorsque le ministre de l'intérieur, Roumen Petkov, a divulgué le nom de deux journalistes vedettes, et ex-agents. Etait-ce une attaque contre les médias, assez critiques sur le bilan de son activité, ou un règlement de comptes au sein du Parti socialiste bulgare (PSB) ? En tout cas, son geste a fait sortir l'esprit malin de la bouteille. Les débats se déchaînent entre détracteurs et partisans de l'ouverture complète des fameuses archives. "La sécurité d'Etat était l'enfant chéri du Parti communiste bulgare. Il est tout à fait normal que son héritier, le Parti socialiste bulgare (PSB), actuellement au pouvoir, résiste à trahir ses collaborateurs", résume Sérafime Stoïkov, ancien directeur des archives de la police politique. Cependant, le PSB pourrait cette fois céder à la pression croissante d'une société épuisée par une transition démocratique pénible, entachée par les affaires louches et la corruption. Les fantômes du passé risquent également de menacer l'élection présidentielle de novembre prochain. Le Parlement s'est engagé à voter d'ici à la rentrée une nouvelle loi réglementant l'accès aux archives. Mais le scepticisme règne parmi la population, habituée aux fausses promesses.
