Exposition Le prodigieux Holbein au pays des coupeurs de têtesL'un peint les têtes, l'autre les tranche. Lorsque Henry VIII, roi d'Angleterre, cherche une nouvelle épouse, après avoir fait décapiter Anne Boleyn et perdu sa troisième femme, Jane Seymour, en couches, il envoie Hans Holbein à travers l'Europe portraiturer les prétendantes. En mars 1538, c'est Christina du Danemark. Devant le tableau de cette veuve de 16 ans, le roi tombe amoureux. En juin, c'est Louise de Guise, puis Marie et Marguerite de Vendôme. En août, Anne de Lorraine (7 ans) et Renée de Guise. L'année suivante, en 1539, c'est Anne de Clèves. Bingo : le tableau séduit le roi, il l'épouse.Devant l'original, le roi se rend compte qu'Holbein a trop de talent : le réel est bien fade. Son ministre Thomas Cromwell, qui avait arrangé la rencontre, en perd la tête. Au sens propre. Jamais consommé, le mariage est annulé sept mois plus tard, Henry s'étant pris de passion pour Catherine Howard, sa cinquième femme. Dont il fait trancher le cou en 1542... Le peintre échappe au même sort, mais meurt de la peste l'année suivante.S'il y a des expositions à ne pas manquer, celle que consacre la Tate Britain de Londres à Hans Holbein (1497-1543) en fait partie, comme la précédente à Bâle (Le Monde du 14 avril). Celle-ci montrait les années suisses du peintre, celle-là les années britanniques. Le premier séjour anglais dure de 1526 à 1528. Le second, de 1532 à sa mort. En une douzaine d'années, Holbein introduit la Renaissance dans la peinture du Royaume-Uni.LES GÉNÉROSITÉS DE LA REINEL'exposition le montre, à grand renfort de prêts exceptionnels. Avec un bémol toutefois : Les Ambassadeurs, le grand tableau que fit Holbein des Français Jean de Dinteville et Georges de Selve, est absent. Un saut à la National Gallery aide à comprendre pourquoi : sous la lumière rasante, les jointures des fines planches de bois dont est constitué le panneau sont clairement visibles, et n'auraient sans doute pas supporté le transport.La reine, elle, a été généreuse : ses dessins, qui sortent rarement des réserves, entourent l'esquisse pour le portrait de la famille de Thomas More. Ce dernier, décapité (une manie) en 1535, avait introduit Holbein en Grande-Bretagne par l'entremise d'un ami commun, Erasme. L'auteurd' Utopia écrit en 1526 à celui de L'Eloge de la folie : "Votre peintre, mon cher Erasme, est un merveilleux artiste, mais j'ai peur qu'il puisse ne pas trouver l'Angleterre une terre aussi fructueuse et fertile qu'il l'a espéré..."Car si Holbein a effectué le long voyage dans le pays où rougissent les billots, c'est que la situation à Bâle lui déplaît. La Réforme s'accompagne de dérives iconoclastes. On brûle des tableaux d'église. Le peintre, prudent, cherche d'autres protecteurs. Il tente un temps François Ier, pour finalement lui préférer son éternel rival. Pour lequel il peint une grande bataille, celle de Thérouanne, victoire britannique contre la France. Elle est exposée à Greenwich en mai 1527, lors d'une rencontre entre Henry VIII et François Ier.La prédiction de Thomas More se révélera exacte : si Holbein eut un temps la faveur du roi, les 30 livres de salaire annuel que lui verse la Couronne ne suffisent pas. Il obtient divers privilèges, dont celui d'exporter de la bière, et surtout d'exercer son art pour une clientèle privée. Les marchands de la Hanse, la guilde qui détient le monopole du commerce en mer du Nord, passent sous son pinceau.Il dessine aussi des pièces d'orfèvrerie, des gardes de poignard, des bijoux, des manteaux de cheminée : sa minutie et sa précision contrastent alors avec la liberté qu'il se donne pour traiter les éléments secondaires dans ses portraits dessinés. Vers lesquels on revient toujours : Holbein était surtout un dessinateur prodigieux."Holbein in England", Tate Britain, Milbank, London SW1P 4RG. Tél. : 00-44-207-887-88-88. Tous les jours, de 10 heures à 17 h 40. Entrée 10 £ (15 €). Jusqu'au 7 janvier 2007.Catalogue, 192 p., 19,99 £ (29,83 €)
