Procès Le procès du tunnel du Mont-Blanc s'achève dans l'apaisement La loi Fauchon, toute la loi Fauchon, rien que la loi Fauchon. C'est en substance ce qu'ont plaidé, cinq jours durant, les avocats de la défense pour justifier leurs demandes de relaxe au procès de la catastrophe du tunnel du Mont-Blanc devant le tribunal correctionnel de Bonneville. Intervenant en dernier, vendredi 29 avril, pour la société française concessionnaire de l'ouvrage (ATMB), Me Christian Lambard a fait de même. Mais, contrairement à ses confrères plaidant pour les quinze autres prévenus, il n'a pas réclamé son application à sa cliente, personne morale, non concernée par cette loi relative à la répression des délits non intentionnels, entrée en vigueur le 10 juillet 2000. "Je ne suis pas Don Quichotte. Je ne peux pas demander au tribunal de faire ce qu'il ne peut pas faire" , a-t-il expliqué. Si Me Lambard a évoqué cette loi, c'est au bénéfice des trois employés français du tunnel poursuivis dans cette affaire : Daniel Claret-Tournier, régulateur ; Gérard Roncoli, chef de la sécurité, et Christian Basset, directeur de l'exploitation. Ceux-ci ne peuvent, selon lui, être condamnés car rien ne permettrait de démontrer un lien de causalité entre les fautes qui pourraient leur être imputables et la mort de 39 personnes dans l'incendie du tunnel, le 24 mars 1999. La situation est différente pour leur employeur et Me Lambard en a tiré les conséquences : "Dussé-je en surprendre certains, je ne plaiderai pas la relaxe de l'ATMB. Ce serait faire injure au tribunal, aux familles des victimes et à la loi." L'annonce a provoqué quelques murmures dans la salle. Au cours des débats, l'ATMB avait donné l'impression de ne vouloir rien lâcher, ne se reconnaissant aucune faute et accusant les employés de son homologue italienne, la SITMB, d'être seuls responsables des dysfonctionnements en matière de sécurité relevés le jour de l'incendie. Le propos de Me Lambard a d'autant plus de force que Me Claudio-Maria Papotti, son confrère chargé de la défense de la SITMB, a au contraire, tout au long de sa plaidoirie, tenté de convaincre le tribunal que la société concessionnaire italienne était irréprochable, accusant de tous les maux les personnels français de l'ouvrage. "Entre une attitude de défense empreinte d'une sorte de "meaculpisme" contrit, auréolé de l'humanisme froid d'un chèque (référence aux 13,5 millions d'euros d'indemnités versés par la SITMB aux familles des victimes dans les premiers jours du procès) et celle des employés français qui n'ont rien fait d'autre que de se défendre, vous choisirez" , suggère Me Lambard aux juges. Sur la loi Fauchon, l'avocat n'en dira pas plus. Ses confrères, avant lui, avaient largement évoqué le sujet. Me Jean-Yves Le Borgne notamment, qui, la veille, a proposé une brillante démonstration pour la défense de Rémy Chardon, PDG de l'ATMB au moment des faits. Ce dernier a convenu, à l'audience, que dysfonctionnements, failles et manquements avaient émaillé la bonne marche de la société qu'il dirigeait, mais, à en croire son défenseur, "l'esprit du nouveau texte, c'est que des fautes qui ne sont pas nécessairement les siennes ne doivent pas reposer mécaniquement sur les épaules d'un homme sous prétexte qu'il était à la tête" . La loi Fauchon oblige en effet à démontrer un lien de causalité entre la faute commise et le dommage subi. L'auteur doit avoir eu conscience d'exposer autrui à un risque. Or, depuis le début du procès, Rémy Chardon a toujours affirmé n'avoir pas été informé, avant la catastrophe, des manquements que l'incendie du 24 mars 1999 a révélés. "Sorti de l'ENA, préfet de son état, pouvait-il légitimement avoir eu la charge de déceler ce qu'une ribambelle d'ingénieurs des Ponts et Chaussées n'ont pas vu ?" , a soutenu Me Le Borgne, visant les responsables du CETU (Centre d'études des tunnels), un organisme public chargé, notamment, du contrôle de l'ouvrage. L'avocat a aussi lancé une charge virulente contre l'Etat, actionnaire majoritaire du tunnel. "C'est aux carences de l'Etat qu'il faut s'en prendre, à trente ans d'impéritie" , a-t-il conclu. Avant de lever l'audience, le président du tribunal, Renaud le Breton de Vannoise, a pris la parole une dernière fois. "Au-delà des faits, le tribunal doit rechercher si les causes mises en évidence révèlent des fautes indirectes engageant leurs auteurs, a-t-il indiqué. Il accomplit sa tâche dans la sérénité en se donnant le recul nécessaire. C'est pourquoi il rendra son jugement le 27 juillet." Puis, dans une atmosphère apaisée, après trois mois d'audiences parfois tendues, des parties civiles sont allées serrer la main de certains prévenus. Sensibles, sans doute, aux derniers mots de Rémy Chardon : "La vérité, nous la connaissons aujourd'hui. Personne ne peut la nier ou chercher à la contourner. Nous n'étions pas parfaits et nous avons tous notre part dans cet enchaînement qui a conduit à la tragédie." Puis, dans un sanglot : "Je souhaite que les familles trouvent un jour l'apaisement et qu'elles nous accordent leur pardon."