Annonce Le "pacte" français pour la recherche ne répond pas aux objectifs européensEnfin ! Hélas ! Ces deux exclamations traduisent l'état d'esprit de la communauté scientifique française devant le projet de loi d'orientation et de programmation de la recherche qui devait être présenté, mercredi 23 novembre, en conseil des ministres. Enfin, cette loi, annoncée voilà bientôt deux ans par Jacques Chirac, est proche de voir le jour. Sauf nouveau report, elle devrait être examinée au Sénat à la mi-décembre, puis discutée à l'Assemblée nationale début 2006. Hélas, le texte, rebaptisé "pacte pour la recherche" (Le Monde du 30 septembre), est très loin des attentes des chercheurs. Mais aussi des objectifs que s'est fixés l'Union européenne et auxquels la France, comme les autres Etats membres, a souscrit. CHRONOLOGIE6 JANVIER 2004. Jacques Chirac annonce une loi sur la recherche.7 JANVIER. L'appel "Sauvons la recherche !" recueille 70 000 signatures.9 MARS. 2 000 directeurs de laboratoire démissionnent.28 ET 29 OCTOBRE. Etats généraux de la recherche à Grenoble.4 JANVIER 2005. Jacques Chirac promet un milliard d'euros supplémentaires par an pour la recherche.9 FÉVRIER. Création de l'Agence nationale de la recherche.29 SEPTEMBRE. Dominique de Villepin présente un pacte pour la recherche.[-] fermer MESURESEn mars 2000, à Lisbonne, l'Europe s'est donné pour ambition de "devenir l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique de la planète". Pour y parvenir, les Quinze, désormais vingt-cinq, ont décidé de porter à 3 % — contre 1,9 % aujourd'hui — la part de leur produit intérieur brut (PIB) allouée à la recherche et au développement, à l'horizon 2010.Pour la France comme pour la plupart de ses partenaires européens, le chemin à accomplir est considérable. Elle ne consacre actuellement à ce secteur que 2,2 % de sa richesse (environ 35 milliards d'euros), dont 1 % (16 milliards d'euros) au titre de la recherche publique subventionnée par l'Etat, et 1,2 % (19 milliards d'euros) au titre de la recherche privée financée par les entreprises. Pour tenir ses engagements communautaires, la France devrait, selon les calculs de Bercy, qui table sur une croissance annuelle moyenne de 2 %, dépenser pour la science et la technologie près de 57 milliards d'euros à la fin de cette décennie.Le "pacte" proposé par le gouvernement à la nation et aux chercheurs laisse peu de chances d'atteindre ce résultat. Il prévoit que ces 57 milliards d'euros sortent pour un tiers des caisses de l'Etat et, pour les deux autres tiers, de celles des entreprises. Cette répartition demande que l'Etat accroisse son effort actuel d'environ 25 %, ce qui est compatible avec la promesse d'injecter dans la recherche 1 milliard d'euros supplémentaires par an, comme cela a été fait pour 2005 et 2006. Mais elle nécessite surtout que les entreprises augmentent leur effort de 70 %, ce qui, en dépit des incitations fiscales prévues à leur intention, relève d'un pari pour le moins hasardeux.Dans un avis rendu le 16 novembre, le Conseil économique et social (CES) souligne qu'une telle croissance des dépenses de recherche privées n'est tout simplement "pas réaliste". Compte tenu "du manque de moyens des laboratoires publics, de la très difficile situation financière des universités, du coût des grands programmes de recherche, de la revalorisation nécessaire des rémunérations", ajoute le CES, l'engagement de l'Etat "n'est pas encore au niveau des besoins de l'enseignement supérieur et de la recherche".Mal fait pour répondre aux exigences européennes en termes de budget, le projet de loi n'est pas mieux armé en matière d'emploi. S'il confirme la création de 3 000 postes en 2006 "dans les secteurs prioritaires de la politique scientifique" et indique, sans autre précision, que "l'effort sera poursuivi en 2007", il ne comporte pas de programmation à moyen terme.Or Bruxelles tient pour une priorité le renforcement du potentiel scientifique humain de l'Europe, qui ne compte que 5,7 chercheurs pour 1 000 actifs — la France fait un peu mieux avec un score de 6,5 — contre 9,1 pour le Japon et 8,1 pour les Etats-Unis. Le CES regrette l'absence d'un "plan pluriannuel de recrutement" qui, insiste-t-il, "doit intégrer le fait que la moitié des chercheurs publics partira en retraite dans les dix années qui viennent".Plus généralement, le pacte national pour la recherche ne prend que timidement en compte la dimension européenne, même s'il affiche la volonté de "renforcer l'intégration du système français dans l'espace européen de la recherche". Pour le CES, "une réelle coordination avec un dispositif de recherche européen" est indispensable.Hostiles au projet de loi actuel, une quinzaine de syndicats de l'enseignement supérieur et de la recherche — ainsi que le collectif Sauvons la recherche ! — appelaient à une journée nationale d'action, mercredi 23 novembre, pour "faire reculer le gouvernement". A leurs yeux, ce texte, "imposé sans aucune négociation", vise à "généraliser la précarité de l'emploi, privilégier de façon systématique la recherche privée, organiser le démantèlement des organismes de recherche, instaurer un pilotage gouvernemental de la recherche et organiser un système d'enseignement supérieur à plusieurs vitesses".Lundi 21 novembre, le ministre de l'éducation nationale et de la recherche, Gilles de Robien, a défendu, à Grenoble, le projet de loi. "Les choses ne sont plus comme elles étaient il y a dix-huit mois, a-t-il plaidé. On a mis beaucoup d'argent sur la table pour la recherche. Il y aura 3 000 embauches l'année prochaine (...). On a décidé de faire confiance aux chercheurs, avec un système de contrôle a posteriori plutôt qu'un contrôle a priori." Le ministre a ajouté qu'il attendait des réformes "une meilleure visibilité internationale et une meilleure attractivité de la France pour les étudiants étrangers".
