Création Le nouvel endroit où la gauche pense(Reuters)Alors que le PS peine à rétablir des relations avec les intellectuels, un nouveau think tank, Terra Nova, est lancé pour fournir des idées politiques aux socialistes.La gauche aurait-elle perdu le fil des idées ? Entre sa principale organisation politique, le Parti socialiste, et les intellectuels, le fossé semble en tout cas n'avoir jamais été aussi important. «Contrairement à d'autres grands partis de gauche européens, en Italie, en Allemagne ou en Angleterre, les dirigeants du PS français n'ont jamais eu beaucoup de rapports larges et organisés avec les intellectuels, rappelle le politologue Gérard Grunberg (1). Jamais de liens organiques, comme par exemple entre Tony Blair et Anthony Giddens, qui était l'intellectuel du Labour.» Un éloignement qui, ces dernières années, a pris un tour considérable. «Dans les années 70 et 80, le politique et l'intellectuel se télescopaient en permanence, et le PS avait tout de même su se renouveler idéologiquement, décrypte Michel Wievorka, proche de Martine Aubry. Aujourd'hui, entre les intellectuels et la gauche, c'est la grande crise.» Les socialistes eux-mêmes en conviennent : «On a parlé du silence des intellectuels, mais ceux-ci, malgré leurs préventions, répondent présents quand on les sollicite, estime le député européen Vincent Peillon, proche de Ségolène Royal. Il s'agit plutôt de l'autisme des politiques…»SUR LE MÊME SUJET Une fondation pour refonderInterview Du logement social dans le privéInterview Le Smic, un concept neufInterview Payer ses études après le diplômeEmploi, tout se joue dès l'enfanceEDITORIAL Changer la donneForêt de clubs au PS«Le lien s'est distendu.» Les socialistes, pourtant, n'ont pas totalement déserté le champ de la réflexion. La rue de Solférino dispose d'un secrétariat aux études, qui entretient des contacts réguliers avec les intellectuels français. Elle peut puiser dans les travaux de la Fondation Jean-Jaurès, créée en 1992 par Pierre Mauroy, ou de la République des Idées, présidée par l'historien Pierre Rosanvallon. Et depuis la présidentielle, think tanks, clubs ou cercles de réflexion, fleurissent (lire page 4). «En réalité, il y a énormément de contacts et de lieux d'échange, résume Michel Wievorka. La question est moins celle de la rencontre que celle de l'utilisation du travail des intellectuels.» Et le sociologue de livrer son diagnostic, sévère : «Ces cinq dernières années, au PS, l'humeur n'était pas à la réflexion de fond. S'il s'agit de suivre les sondages et de regarder ce que dit Paris Match, on n'a pas besoin d'idées. Et pendant que le parti pataugeait dans des problèmes de leadership, le lien s'est distendu…»Paradoxe : alors que la rue de Solférino jouit d'une zone de chalandise intellectuelle que la droite lui envie, les chercheurs, souvent, se montrent échaudés par leurs expériences. «Beaucoup ont le sentiment d'avoir été instrumentalisés, sur le mode : "vous contribuez, vous tentez de construire un diagnostic", mais quand arrive l'échéance électorale et que les politiques rentrent vraiment en scène, tout le travail passe à la trappe, regrette Eric Maurin, sociologue et directeur de recherche à l'EHESS (Ecole des hautes études en sciences sociales). Du coup, pas mal d'experts participent une fois, mais pas deux.» L'appel aux intellectuels serait donc trop ponctuel, et trop utilitaire, pour être structurant. «Il y a un problème d'alchimie interne au PS, qui n'essaie pas de tirer parti de la production qui est faite, estime Marc-Olivier Padis, rédacteur en chef de la revue Esprit. Si le parti a besoin de sortir quatre idées dans un contexte électoral, il peut facilement disposer, sans effort, de gens compétents et prêts à travailler. Mais les socialistes abusent trop de ce modèle, et le travail continu, en profondeur, d'assimilation de la réflexion ne se fait pas.»«Fontaine d'eau tiède». La logique politique de l'organisation et la compétition interne, étoufferait-elle celle de la réflexion ? «Depuis la défaite de Jospin, en 2002, personne n'ose rien dire sur rien de peur de se faire canarder par les petits camarades présidentiables. Résultat: le PS n'a parlé de rien», déplore Thomas Piketty, directeur d'études à l'EHESS. Ce proche de Ségolène Royal juge de façon acerbe la déclaration de principes récemment adoptée par le PS, notamment au chapitre du rapport à l'économie de marché : «Pathétique. Une fontaine d'eau tiède, des généralités insipides. Et c'est la même chose sur tous les grand sujets : retraites, santé, enseignement, impôt.» Pour Thomas Piketty, «l'immobilisme programmatique s'explique par un grave problème de renouvellement des dirigeants, que la droite a réussi à résoudre. La droite manque d'intellectuels, mais a compris qu'il fallait un chef. La gauche, c'est le contraire.»Celle-ci devrait-elle s'inspirer de la méthode sarkozyste en trois temps : prise du parti, travail de révision programmatique puis conquête du pouvoir ? La question du leadership, au fond, est-elle un préalable à la rénovation idéologique ? «Sarkozy, à sa manière, a fait sienne la rhétorique de Gramsci, selon laquelle il faut être majoritaire sur le plan culturel, estime Marc-Olivier Padis. Mais il n'a pas cherché à élaborer un modèle cohérent, ni effectué un véritable travail de refondation intellectuelle puisque pour lui, toutes les idées sont bonnes à prendre. De ce point de vue, il ne peut être un modèle pour la gauche.» Une gauche qui, tout simplement, doit se remettre au travail sur ses propres fondamentaux. «Le moment est venu, pour le PS, de régler ses problèmes de leadership pour se mettre en position de réfléchir, estime Michel Wievorka. Et, enfin, de proposer une vision de l'avenir, et de la société telle qu'elle est.»(1) Auteur, avec Alain Bergougnioux, des Socialistes français et le pouvoir : l'ambition et le remords 1905-2005. Fayard, 2005.
