Annonce Le nouveau n°1 mondial cache sa folle ascension sous une image de modeste. Mittal, le milliardaire indien qui réussit ses alliages d'acier 'est une sorte d'avenue privée qui longe le flanc gauche de Kensington Gardens, au coeur de la capitale britannique, et s'orne d'une série de demeures somptueuses, résidences d'ambassadeurs ou domiciles de milliardaires. Après avoir habité longtemps dans un quartier un peu plus au nord de Londres, Lakshmi Mittal a jeté son dévolu en avril sur l'une des plus impressionnantes villas de l'endroit, grande bâtisse blanche à tourelles et à colonnes, douze chambres, une piscine luxueuse, une soixantaine de caméras de surveillance et un prix ­ 70 millions de livres (environ 100 millions d'euros) ­ qui lui a valu une pluie de commentaires de la presse, plus ou moins affables. People. Le milliardaire indien, qui a fait fortune dans l'acier au point de se hisser au premier rang mondial, affecte toujours une certaine forme de modestie ou de discrétion, louant les joies simples procurées par la famille ou le sport, lorsqu'il accepte d'évoquer sa vie personnelle face aux journalistes. Un achat si somptueux cadrait mal avec l'image travailleuse et réservée qu'il cherche à cultiver. Le registre people lui a encore valu l'attention des médias lorsqu'il a marié cet été sa fille de 23 ans, Vanisha, empruntant pour l'occasion le château de Versailles, avant de célébrer la noce à celui de Vaux-le-Vicomte. En annonçant la semaine dernière le mariage des deux entités de son groupe sidérurgique ­ Ispat International et LNM Holdings ­ avec l'un des fleurons de l'acier américain, International Steel Group, le milliardaire est revenu aux affaires sérieuses : ce nouveau numéro 1 mondial de l'acier aura pour nom, en toute simplicité, Mittal Steel. «Devenir le plus grand producteur mondial d'acier n'est pas une fin en soi. Cela peut arriver maintenant ou dans un an, mais la vision que nous avons mise en avant, celle d'une industrie sidérurgique mondialisée, est plus importante», confiait-il en mai à un magazine économique indien. La nouvelle entité ­ qui prendra forme en 2005 ­ sera présente dans quatorze pays, avec 165 000 employés et une production espérée de 70 millions de tonnes annuelles contre 43 millions pour l'européen Arcelor. «Il y a eu des regroupements régionaux importants, comme la création d'Arcelor en Europe, mais le secteur de l'acier reste fragmenté, remarque Peter Fish, consultant chez Meps, l'un des grands bureaux d'analyses du secteur de l'acier, basé en Grande-Bretagne. Il n'y a pas de groupe dominant. Même si Mittal Steel devient numéro 1 en nombre de tonnes par an, on ne peut pas parler de position dominante lorsqu'on parle d'usines au Kazakhstan, au Mexique ou au Canada.» De fait, les dix plus grands du secteur ne fournissent que 30 % de la demande mondiale. Ce qui fascine les analystes, c'est l'évolution de ce groupe et la capacité de son fondateur à supporter les retournements de conjoncture. Tous les ingrédients nécessaires à l'histoire de «l'homme qui était pauvre et s'est fabriqué lui-même» sont réunis. Le grand-père était un négociateur en ferrailles à Karachi. Après la séparation de l'Inde et du Pakistan, la famille rejoint le Nord indien puis la région de Calcutta, où le père de Lakshmi Mittal prend en main une petite usine de laminage. Dans les éléments de biographie qu'il divulgue figure en bonne place l'image d'un adolescent dur à la peine, qui fait ses classes tôt le matin dans un collège prestigieux de Calcutta avant de rejoindre son père pour une longue journée de travail. Alors que les perspectives de développement en Inde sont bloquées, la famille s'expatrie en Indonésie. Là commence une ascension irrésistible. «La force de Mittal a été de prendre des risques là où aucune grande entreprise sidérurgique ne l'aurait fait, commente encore Peter Fish. Il a repris des usines où il y avait des problèmes de pollution énormes ; ou bien un mastodonte à redresser comme au Kazakhstan. De même quand il s'est attaqué au marché américain, il n'a pas reculé devant le coût des retraites des ouvriers américains. Et il parvient à négocier des conditions différentes de travail, plus de productivité et une baisse des coûts.» Sans affrontement majeur. Chasse au surcoût. Lorsqu'en 1995 il reprend le monstre du Kazakhstan, l'un des trois plus importants sites sidérurgiques de l'ère soviétique, tombent alors sous sa coupe 30 000 ouvriers, 30 000 mineurs, une compagnie électrique, un hôpital... Des milliers d'employés sont alors expédiés dans les autres usines du groupe pour se former à de nouvelles méthodes de travail. Ces dernières années, à bord de son jet Gulfstream-IV, Mittal a arpenté les terres polonaises, tchèques, algériennes, rachetant ou prenant des participations à tour de bras. L'une de ses acquisitions en 2002, en Roumanie, lui a valu quelques désagréments : Mittal est un généreux donateur du Parti travailliste, auquel il a fait un chèque de 180 000 euros. Or Tony Blair s'est fendu d'une lettre pour soutenir ses efforts auprès des dirigeants roumains. L'affaire avait fait scandale en 2002, et l'empereur indien du métal avait avoué sa tristesse d'être ainsi soupçonné de collusion. Il est vrai qu'au sein d'Ispat International comme de LNM Holdings l'on vante les mérites d'un contrôle social efficace : sur le site web néerlandais (la direction stratégique se trouve à Rotterdam), chacun est invité à dénoncer tout comportement qui ne serait pas «éthique». Des soupçons de corruption ont valu à des équipes entières d'être virées sans ménagement. Et la chasse au surcoût est systématique. Les fantaisies que s'offre le milliardaire indien ne sont pas de mise dans la maison Mittal.