Procès Le nationaliste corse Charles Pieri comparaît devant le tribunal correctionnel de Paris Bastia (Haute-Corse) et Ajaccio (Corse-du-Sud) de notre envoyé spécial Certains voient en lui le symbole de la dérive mafieuse du nationalisme corse. Figure emblématique de la lutte clandestine, Charles Pieri comparaît, à partir de jeudi 10 mars, devant la 16e chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris. Accusé d'avoir créé ou contrôlé des entreprises afin de dégager des fonds occultes et de couvrir des activités de racket, il est poursuivi pour "abus de biens sociaux, de recel, de complicités, d'extorsion de fonds en relation avec une entreprise terroriste, d'association de malfaiteurs en vue de commettre des actes de terrorisme et de financement d'une entreprise terroriste". Vingt et un prévenus seront jugés à ses côtés durant les cinq semaines que doit durer l'audience, parmi lesquels Jean-Guy Talamoni, élu et porte-parole d'Unione naziunale à l'Assemblée territoriale de Corse. L'affaire a éclaté il y a près de deux ans. Le 23 mai 2003, le directeur des services fiscaux de Haute-Corse alerte le procureur de la République de Bastia sur la gestion de l'Hôtel du Golfe de Saint-Florent, qui incombe à une société civile immobilière (SCI) et à une société anonyme (SA). Après un an et demi d'enquête, Philippe Courroye, juge d'instruction au pôle financier du tribunal de grande instance de Paris, rend, en novembre 2004, une ordonnance de renvoi qui décortique "le fonctionnement de certaines structures animées par des personnes en relation plus ou moins proches avec Charles Pieri". "Certaines d'entre elles ont été alimentées au moyen de fonds occultes et illicites et ont été utilisées à des fins illicites susceptibles de servir des actions clandestines du FLNC-Union des combattants", estime le magistrat instructeur. Charles Pieri aurait pillé les comptes de la SA Hôtel du Golfe : d'importantes sommes d'argent en espèces auraient été détournées, pour au moins 51 476,66 euros ; quelque 10 500 euros auraient également été prélevés à l'aide d'une carte bancaire ; enfin, environ 100 000 euros auraient été soustraits du compte de la société pour les placer sur le compte personnel de Charles Pieri. Le leader nationaliste se serait aussi servi des sociétés Corsica Nettoyage Entretien (CNE) et Corsica Gardiennage Service (CGS) - dont il était gérant de fait - pour financer des primes injustifiées ou la mise à disposition de véhicules au profit de ses proches. L'enquête a permis d'établir que CNE et CGS remplissaient une double mission : alimenter les fonds propres de Charles Pieri et contribuer au financement d'activités nationalistes. Ainsi, U Ribombu - hebdomadaire nationaliste qui a cessé de paraître en juin 2004 - aurait bénéficié des largesses de CGS par le biais d'encarts publicitaires, facturés 22 790,98 euros. Pour le juge Courroye, "ce paiement"doit être analysé comme "une aide déguisée de la CGS à un organe de presse nationaliste et donc sans lien avec son objet social". Réputé pour sa passion du football, Charles Pieri est également accusé d'avoir tiré partie du Sporting Club de Bastia (SCB) pour ses activités frauduleuses. Des fausses factures, d'un montant de 24 245 euros, auraient été établies en 2002 et en 2003 en faveur de CNE pour des travaux de nettoyage qui n'ont jamais été effectués. En 2003, le chef nationaliste aurait aussi participé au détournement de sommes versées par le SCB à l'occasion des transferts des joueurs Michael Essein et Frédéric Nee. Une société monégasque aurait servi d'intermédiaire. CHEF CHARISMATIQUE Enfin, selon l'accusation, d'autres entreprises implantées en Corse, telles que le Club Méditerranée et Nouvelles Frontières, ont été contraintes de renflouer CGS ou U Ribombu "au moyen de procédés relevant intrinsèquement d'actes terroristes". Alors que Charles Pieri se présentait comme un simple militant nationaliste n'exerçant aucune profession, les enquêteurs ont montré qu'il avait disposé gracieusement, entre le 14 juin 2002 et le 22 octobre 2003, de dix automobiles, dont une Jeep Wrangler, une Renault Vel Satis, une Peugeot 607, une Mercedes classe C, une autre Mercedes classe E, une BMW série 3 ou encore une Audi A6, grâce à la générosité de son ami Jean-Baptiste Dominici, président du directoire de la société de location de véhicules Holcar, qui comparaîtra lui aussi. Les enquêteurs sont persuadés que Charles Pieri n'a jamais abandonné les activités clandestines qui lui avaient valu d'être condamné, le 26 janvier 2001, par la cour d'appel de Paris à cinq ans de prison. Une conviction étayée par la découverte de documents à son domicile de Biguglia (Haute-Corse), relatifs à la fabrication d'explosifs souvent utilisés dans les attentats revendiqués par le FLNC. Au même endroit, les policiers ont mis la main sur une carabine Winchester calibre 444 Marlin, trois autres, à répétition, de marque Benelli et quatre fusils de chasse et leurs munitions. Quelques mois avant l'interpellation de Charles Pieri, qui eut lieu le 14 décembre 2003, près de Bastia, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'intérieur, avait déclaré qu'il fallait "le faire tomber comme Al Capone" - sans désigner nommément le chef charismatique du nationalisme corse. Pour bon nombre d'observateurs insulaires, son ombre tutélaire pèse sur les orientations du FLNC-Union des combattants et de sa vitrine légale, Indipendenza.