Nouveau/elle Le mystère persistant de la petite taille de l'homme de Flores Depuis sa découverte dans une île indonésienne, "Homo floresiensis", vieux de 18 000 ans, intrigue en raison de la petitesse de son cerveau.À quelle espèce appartient réellement Homo floresiensis, le petit "Hobbit" découvert sur l'île indonésienne de Flores en 2003 (Le Monde daté 31 octobre et 1er novembre 2004) et qui pourrait être de sexe féminin ? La polémique fait rage parmi les scientifiques, car personne n'arrive à percer l'étonnant mystère que renferment ces restes humains, vieux de 18 000 ans. Cet Homo miniature de 1 mètre de haut est en effet doté d'une capacité crânienne de 380-400 cm3, plus proche de celle d'un chimpanzé ou de l'australopithèque Lucy (3,2 millions d'années).Cette miniaturisation procède-t-elle d'un nanisme insulaire, comme cela s'est produit chez différents mammifères (éléphants, cerfs, chèvres), isolés dans des îles pendant de très longues périodes ? Peut-on éliminer complètement l'hypothèse du nanisme ou de la microcéphalie ? Les découvreurs d'Homo floresiensis, notamment l'Australien Mike Morwood et l'Indonésien Radien Soejono, estiment, pour leur part, que cet hominidé serait plutôt un Homo erectus (Nature du 28 avril 2004).Pour tenter de faire avancer le débat, une équipe dirigée par la neuropaléontologue Dean Falk (département d'anthropologie, université d'Etat de Floride), composée de radiologues et de paléoanthropologues américains, australiens et indonésiens, a comparé l'endocrâne (intérieur du crâne) d'Homo floresiensis avec celui d'autres espèces humaines et animales. Il s'agit d'endocrânes virtuels - une reconstitution numérique en trois dimensions -, car le crâne d'Homo floriensis est trop fragile pour réaliser un moulage. Ont ainsi été évalués les restes crâniens de cinq australopithèques, d'un paranthrope, de cinq Homo erectus, de dix humains, de dix gorilles, de dix-huit chimpanzés, d'une femme pygmée adulte et d'une personne atteinte de microcéphalie.Selon les chercheurs, qui publient le résultat de leurs travaux dans la revue Science en ligne (Scienceexpress) du 3 mars, le cerveau d'Homo floresiensis est très proche de celui d'Homo erectus. Il présente des lobes frontaux et temporaux indiquant une capacité de "processus cognitifs avancés". Les lobes frontaux, notamment, comportent deux importantes circonvolutions. Ce petit être aurait donc été tout à fait capable de tailler les outils lithiques retrouvés dans la grotte de Liang Bua. Mais les choses ne sont pas totalement éclaircies pour autant, car "ces circonvolutions du cerveau ne peuvent provenir d'une miniaturisation d'un cerveau d'Homo sapiens ou d'Homo erectus", précisent les scientifiques. L'hypothèse de l'appartenance du crâne à un Pygmée ou à une personne atteinte de microcéphalie a été abandonnée. Bien que les chercheurs n'éliminent pas totalement l'hypothèse d'une microcéphalie secondaire : un nouveau-né peut en effet naître avec un cerveau normal qui se développe de façon anormale.Les similitudes du petit "Hobbit" avec Homo erectus suggèrent fortement aux auteurs de l'étude une connexion phylogénétique entre les deux espèces. Mais ils soulignent que le rapport entre la taille du cerveau et celle du corps est plus proche de celui d'un australopithèque, tandis que la morphologie du fémur et du pelvis ne démontre pas de parenté avec les erectus. Au total, il est possible qu'Homo floresiensissoit le résultat d'un nanisme insulaire endémique. Une autre hypothèse est qu'Homo erectus et Homo floresiensis ont pu posséder un ancêtre commun, un hominidé inconnu de petite taille et doté d'un petit cerveau."L'étude effectuée à partir de ce moulage virtuel est très intéressante. Mais je suis un peu déçu par certains aspects. Je crains que cela ne permette pas de clore la discussion", note Jean-Jacques Hublin, directeur du département de l'évolution humaine du Max Planck Institute for Evolutionary Anthropology, à Leipzig (Allemagne). Selon ce spécialiste, l'équipe de Dean Falk aurait dû effectuer des comparaisons avec un échantillonnage plus important de microcéphales.En outre, l'équipe de Dean Falk "a négligé l'analyse de l'allométrie : les variations de taille dans un groupe donné sont généralement accompagnées de variations de forme. Par exemple, il y a naturellement des changements allométriques dans le cerveau humain et chez tous les êtres vivants. Avec Homo floresiensis, nous avons un effet de taille important et on ne peut rejeter l'hypothèse d'un erectus nain". Enfin, l'hypothèse d'un ancêtre commun à Homo erectus et Homo floriensis le laisse sceptique. "Tant qu'on n'aura pas trouvé d'autres crânes similaires dans l'île de Flores, il sera difficile de trancher", conclut-il.Jean-Jacques Jaeger, professeur de paléontologie des vertébrés à l'université Montpellier-II, estime qu'"il faut rester prudent concernant les reconstitutions virtuelles cérébrales". En effet, "avec cette technique, on reconstitue la surface présente entre les méninges et l'os, car les méninges masquent les détails. Je regrette aussi qu'on ne voie pas la vascularisation, car cela aurait été instructif". Par ailleurs, le scientifique n'est pas sûr que les outils lithiques trouvés à proximité du "Hobbit" aient été taillés par ce dernier. "A l'époque, il y avait de l'homme moderne partout, et il circulait en bateau".Le chercheur ne se dit pas surpris par la petite taille du cerveau. Pour lui, le nanisme insulaire diminue la taille de certains de ses habitants, mais en même temps il "reprogramme" l'ensemble de leur organisme. "C'est un grand classique en biologie des populations", précise Jean-Jacques Jaeger. Il cite ainsi l'exemple d'une petite chèvre à cinq cornes découverte dans la péninsule de Gargano, sur la côte adriatique de l'Italie. Cette péninsule a été une île qui est restée isolée entre - 7 millions et - 4 millions d'années. Or "les spécialistes n'arrivent pas à intégrer cet animal dans une famille précise car il a perdu les caractères qui permettraient de le classer avec précision". De la même manière, "Homo floresiensis est un Homo erectus insulaire qui a évolué 500 000 ans sur l'île et qui a subi la loi de l'évolution". Jean-Jacques Jaeger suggère que l'ancêtre de cet Homo erectus venu d'Asie serait arrivé dans l'île de Flores par le jeu du hasard - variations du niveau de la mer ou tectonique des plaques - et s'y serait trouvé piégé.L'étude cérébrale du petit homme de Flores n'élimine donc pas toutes les interrogations des scientifiques. L'analyse ADN permettra peut-être de lever un autre coin du voile. A cette fin, une petite quantité de poudre d'os appartenant au "Hobbit" a été fournie à Svante Pããbo, généticien au Max Planck Institute, par le paléoanthropologue indonésien Teuku Jacob.
