Inauguration Le Musée des Indiens ouvre à Washington Tuniques multicolores, habits d'apparat, coiffes en plumes : au rythme des tambours et des chants ancestraux, 25 000 Indiens ont pris mardi à Washington le sentier de la reconnaissance nationale. Devant 50 000 spectateurs, leur parade a marqué un aboutissement : l'inauguration du Musée national des Indiens américains, dernier-né autour de l'esplanade du Mall, mais le premier consacré aux peuples autochtones du «Nouveau monde». En tête du cortège, crinière grise sous une longue rangée de plumes, Ben «Nighthorse» Campbell, 71 ans, sénateur républicain du Colorado. La loi qu'il avait fait adopter au Congrès il y a quinze ans a donné le jour à ce grand bâtiment de pierre ocre aux formes arrondies, qui prétend rappeler la roche de l'Ouest travaillée par l'érosion. Pour le défilé, «Cheval Nocturne» Campbell a mis sa coiffe de chef Cheyenne et sa «tenue de guerre» en daim ; après les cérémonies, il est allé délibérer au Sénat dans cette tenue. Le musée conçu par Douglas Cardinal, un Indien du Canada évincé en cours de construction, s'ouvre sur une coupole de 36 mètres de haut qui laisse passer la lumière du jour. Dans le hall, un panneau souhaite la bienvenue aux visiteurs en 200 idiomes indiens. Le bâtiment, qui a coûté 199 millions de dollars, expose 8 000 objets sur quatre niveaux et près de deux hectares. De sculptures vieilles de 10 000 ans à un totem de 6 mètres de haut, il s'en tient strictement à l'authenticité indienne, ignorant les clichés produits et exportés par l'Amérique dans la mythologie du western. La plus grande partie des collections provient du philanthrope George Gustav Heye, un banquier du siècle dernier passionné de culture indienne. L'histoire tragique des peuples décimés après l'arrivée de «l'homme blanc» est évoquée, mais en filigrane. «Ce n'est pas un mémorial, c'est le musée de nos vies», se défend son directeur, Richard West, un Cheyenne éduqué à Stanford. «La boucle sacrée est bouclée, la renaissance des peuples indigènes est devenue réalité», déclare «Cheval Nocturne» Campbell. Des quelque 30 millions d'habitants estimés avant l'arrivée des colons, la population «américaine de souche» était tombée à 250 000 au début du XXe siècle, victime des épidémies, des guerres et des déportations forcées. Elle est aujourd'hui remontée à plus de 2,5 millions et devrait doubler d'ici à 2050. Depuis les années 1990, beaucoup des 562 tribus officiellement reconnues aux États-Unis ont trouvé leur salut dans les casinos, qui rapportent 14 milliards de dollars par an. Mais les réserves restent les endroits les plus pauvres du pays, où l'on a sept fois plus de chance de mourir d'alcoolisme. Entre l'archéologie et le «politiquement correct», l'histoire indienne et sa version détournée par Hollywood ont profondément marqué la culture populaire américaine. En témoigne Dave «Beautiful Bald Eagle» («Bel Aigle Chauve»), 86 ans, chef sioux des Nations indigènes unies, premier groupe à rassembler les tribus des quatre «directions» cardinales. Ce petit homme souriant, droit dans ses bottes de cow-boy et son costume du Far West, a côtoyé Clark Gable et John Wayne, tourné vingt-deux films – dont deux en France, où il a aussi participé au Débarquement. Aujourd'hui, à Washington, il est simplement un grand chef.L
