Exposition Le Musée d'art contemporain de Bucarest expose l'art réaliste de l'époque Ceausescu MNAC Bucarest "L'Epoque Ceausescu" de Sabin Balasa, une œuvre montrée dans le cadre de l'exposition "Réalisme socialiste" à Bucarest (Roumanie) L'accueil est plutôt glacial. Vêtu de l'uniforme bleu marine des services de sécurité, le gardien murmure en soufflant la fumée de cigarette sur votre visage : "Vous allez où ? Ah, au Musée d'art contemporain ? C'est bon, mais vous y allez sans voiture." Le regard indique qu'il vaut mieux ne pas insister. Une visite au Musée national d'art contemporain de Bucarest (MNAC) se mérite. Il faut compter presque 1 kilomètre de marche jusqu'à l'entrée. Mais celle-ci permet de découvrir la Maison du peuple, un géant architectural issu des fantasmes de grandeur du dictateur Nicolae Ceausescu. Environ 400 000 mètres carrés de bureaux, dont celui destiné au Conducator, grand comme un stade de football, occupent la colline qui domine la capitale roumaine. Seul le Pentagone dépasse en hauteur ce bâtiment que le Génie des Carpates voulait plus grand que les pyramides égyptiennes et que le Kremlin à Moscou. Aménagé en 2004 dans l'enceinte de la maison maudite, le MNAC côtoie le Parlement roumain, raison pour laquelle toutes les entrées sont surveillées manu militari. Une aile de 16 000 mètres carrés, dont la moitié est réservée aux expositions, accueille le visiteur. Deux ascenseurs en vitres transparentes construits à l'extérieur du musée donnent à celui-ci une apparence de gratte-ciel. Le musée abrite l'exposition "Réalisme socialiste" qui fait un tabac à Bucarest depuis son ouverture, le 16 mars. Dans l'ascenseur, en préambule à l'exposition, on entend le dernier discours de Nicolae Ceausescu : en décembre 1989, figé sur le balcon du comité central du Parti communiste roumain, le Conducator lance un appel désespéré à la foule ­ qui commence à le huer ­ avant de s'enfuir dans son hélicoptère et d'être incarcéré et fusillé après une parodie de procès. Quinze ans après ces événements, on retrouve le visage de Ceausescu sur les tableaux de ses artistes thuriféraires, exposés dans une salle de plusieurs centaines de mètres carrés destinée à servir de chambre à coucher au dictateur. Les 160 tableaux, dont la majorité portent la mention "Hommage au Conducator", mettent en scène le couple Nicolae et Elena : Ceausescu surgissant des champs fleuris et couverts de blé de la patrie, Ceausescu entouré des hauts fourneaux des usines socialistes, Ceausescu avec les ouvriers, les paysans, les enfants, les vieux, Ceausescu en train d'écrire l'une de ses innombrables oeuvres, Ceausescu en grand chasseur devant une vingtaine d'ours qu'il venait d'abattre, Ceausescu révolutionnaire, jamais triste, dans une Roumanie sur les cimes du bonheur dont le Conducator est la seule garantie. "AFFRONTER LE PASSÉ" Les auteurs des tableaux, qui étaient le pain quotidien des peintres roumains à l'époque, continuent de contrôler l'Union des artistes plasticiens. Zamfir Dumitrescu, le président de cette union, signe plusieurs tableaux de l'exposition "Réalisme socialiste". "Certains peintres se prêtaient aux compromis pour l'argent, d'autres par conviction et d'autres encore pour remercier le parti communiste après avoir obtenu certains bénéfices, par exemple la location d'un atelier", explique Florin Tudor, le jeune commissaire de l'exposition. Son but est de montrer l'évolution de la perception du Conducator par la société roumaine. Dans les années 1960, Ceausescu est traité en grand révolutionnaire. Dans les années 1970-1980, il effectue un virage nationaliste en prenant ses distances avec Moscou. Cette fois-ci, les artistes nous montrent le Conducator qui partage une coupe de champagne avec les princes et les personnages héroïques de l'histoire roumaine. "Le moment est venu d'explorer la partie la plus sombre de l'art roumain, qui a fortement contribué au culte de la personnalité, lance Florin Tudor. J'avais 15 ans lorsque Ceausescu est tombé, et j'avais besoin de travailler sur ce passé traumatisant. J'espère que cette exposition va provoquer un vrai débat sur la dictature communiste, d'autant que le musée est lui-même objet de controverse." Le conflit autour du musée a commencé en 2002, lorsque le premier ministre de l'époque, Adrian Nastase, décide de céder une partie de l'ancienne Maison du peuple pour aménager un musée d'art contemporain. Héritier du Parti communiste et contesté par des intellectuels roumains, l'ex-premier ministre a été accusé de vouloir s'approprier l'image du musée. "La meilleure façon de lutter contre la folie de cette maison est de s'y installer et de l'humaniser en y apportant une bonne dose d'humour, affirme Mihai Oroveanu, directeur du MNAC. Nous n'avons rien à gagner à cacher notre passé. Il vaut mieux l'affronter. Et puis le but de ce musée n'est pas de consacrer un artiste, mais de susciter la polémique." Depuis son ouverture, la polémique va bon train. "L'Union des artistes de Roumanie, qui a bénéficié de nombreux privilèges à l'époque communiste, nous critique parce que nous n'exposons pas assez leurs oeuvres, explique Raluca Velisar, chargée de recherche au MNAC. Mais nous sommes aussi attaqués par les jeunes artistes alternatifs qui se font ainsi de la publicité, aussi bien dans la presse roumaine que dans la presse internationale." Au milieu de ce feu croisé de critiques, le jeune Musée d'art contemporain peine à trouver son identité. "Notre défi est de provoquer l'architecture du pouvoir, déclare Mihai Oroveanu. Lorsque nous avons commencé les travaux, j'ai eu le sentiment de donner l'assaut à cette bâtisse. Il nous reste à aménager une entrée spécifique au musée afin d'éviter celle du Parlement et les militaires qui y sont postés. Ce matin, je suis venu en taxi parce que je marche avec des béquilles à la suite d'un accident. On ne m'a pas laissé entrer en voiture. J'ai dû faire le chemin à pied. En fait, il faut démolir le mur qui entoure cette maison. Je suis prêt à prendre un marteau piqueur et à l'abattre moi-même.