Nomination «Le Monde»: Edwy Plenel remplacé par son antithèseGérard Courtois a été nommé hier directeur de la rédaction du quotidien. ans les couloirs du Monde, les étagères sont vides. Les cartons s'entassent. Chacun range son armoire à roulettes. Le déménagement est pour la fin de la semaine. Les 750 salariés du quotidien quittent la rue Claude-Bernard, dans le Ve arrondissement de Paris, pour le boulevard Auguste-Blanqui, dans le XIIIe. C'est au milieu de ce chambardement que les journalistes ont appris hier le nom de leur nouveau directeur de la rédaction : Gérard Courtois, 55 ans, rédacteur en chef, éditorialiste, chargé depuis quelques mois d'organiser... le déménagement !«Typiquement "le Monde"». Pas vraiment une surprise. Voilà une semaine qu'il était donné favori pour remplacer Edwy Plenel, qui a rendu son tablier le 29 novembre. Jean-Marie Colombani, le patron du quotidien, a pris son temps avant d'arrêter sa décision. Il a consulté, beaucoup. Demandé à plusieurs correspondants à l'étranger de faire un saut à Paris. Tenté de renouer avec une rédaction qu'il avait totalement laissée entre les mains de Plenel. «Ceux qui sortaient de son bureau avaient le sentiment qu'il ne connaissait plus les journalistes», note l'un d'eux.Au final, c'est un anti-Plenel, dans tous les sens du terme, qui est sorti du chapeau. Ancien chef adjoint du service politique, Gérard Courtois en a été écarté sans ménagement par Edwy Plenel en 2001. De même que beaucoup de journalistes de ce service. Il ne l'a certainement pas oublié. Anti-Plenel, Courtois l'est également par la personnalité. Aussi calme, diplomate, posé, que Plenel peut être pressé, cassant, éruptif. «Il est typiquement "le Monde"», dit-on de lui. Du Monde d'avant Plenel, s'entend.Un journaliste politique à la tête de la rédaction, c'est aussi le retour à la tradition, alors que Plenel était issu des Informations générales. Discret, Courtois est cependant connu d'un large public pour animer, une fois par semaine, le Grand Jury RTL-le Monde. A sa manière : sobre, rigoureuse, sans effet de manche. «ça va nous changer de l'incandescence névrotique de Plenel», ironise un journaliste, qui pronostique le retour sur le devant de la scène des journalistes spécialisés, mis sous l'éteignoir depuis quelques années au profit des «investigateurs» tout terrain.«Oui, mais Courtois, ce ne sera pas le genre à changer la une à la dernière minute», maugrée un reporter qui appréciait le côté «les mains dans le cambouis», à vif sur l'actualité, de Plenel. «Courtois manque de charisme, il aurait fait un bon second», dit un autre. Bref, les avis, déjà, sont partagés, même si personne ne l'éreinte. «Courtois, ça va apaiser les choses», résume un ancien.Certains, dans la rédaction, prédisent que Jean-Marie Colombani va copiloter la rédaction avec ce grognard. «Il a été dessaisi de la gestion du groupe par les actionnaires, il n'a plus que ça à faire», affirment-ils. «Pas du tout, rétorquent d'autres. On lui a certainement demandé de se rapprocher de la rédaction, mais il va quand même devoir trouver les 50 millions d'euros dont on a besoin.»Savant dosage. Pilote ou copilote, Courtois est entouré d'une équipe savamment dosée. Le résultat d'un bras de fer entre plénéliens et antiplénéliens, difficilement tranché par Colombani qui s'est refusé à lancer une chasse aux sorcières. Deux des trois adjoints d'Edwy Plenel conservent leur poste : Alain Frachon, en charge du Monde 2, qui a refusé, dit-on, la succession de Plenel, et Franck Nouchi. C'est surtout autour de ce dernier que s'est livrée la bataille. «Les antiplénéliens ont essayé jusqu'à la dernière seconde de le faire sauter», note un spécialiste des arcanes de la maison. Ils n'ont pas obtenu gain de cause. En revanche, ils ont eu raison de Josyane Savigneau, grande prêtresse du Monde des livres, un temps pressentie.Deux nouveaux adjoints font leur entrée : Patrick Jarreau, un antiplénélien historique, lui aussi éjecté du service politique dont il était le chef et exilé à Washington. Et Sylvie Kauffmann, responsable des pages Horizons, pilier du service étranger, dont chacun s'accorde à reconnaître les grandes qualités journalistiques. «Et qui présente en outre l'avantage d'être une femme, souligne une journaliste, puisque Colombani avait promis de féminiser l'état-major.»Procédure exceptionnelle, les rédacteurs en chef et leurs adjoints ont été priés hier à midi de remettre leur titre à la disposition de la direction de la rédaction. Qui pourra ainsi remodeler à sa convenance la hiérarchie des services. Officiellement, personne ne sera poussé vers un «départ volontaire», assure-t-on. Les chefs écartés se verront proposer des solutions de repli.Placard. Et Plenel là-dedans ? Dans un entretien à la revue Médias, à paraître jeudi, il déclare : «Personne n'a eu ma tête.» Et répète qu'il souhaitait depuis longtemps «revenir aux joies simples du métier et de l'écriture». Dans l'immédiat, il se voit confier un placard baptisé «Fondation le Monde», chargé d'animer le débat intellectuel. Soit. Mais il peut se vanter d'avoir remporté une grande victoire : son bureau, dans le nouveau Monde, sera au sixième étage. L'étage de la direction de la rédaction. Celui de Gérard Courtois.
