Annonce Le "facteur D" dissimulait les pratiques raciales de l'armée britannique Cela s'appelait le "facteur D". A l'abri de ce vocable énigmatique, et apparemment anodin, l'armée britannique a pratiqué secrètement, pendant une vingtaine d'années, à partir de 1957, une politique de discrimination raciale visant à limiter le nombre de ses recrues "non blanches". Ce système de quotas ethniques a été révélé lors de la récente publication de documents d'archives. Le "facteur D" était attribué notamment aux recrues ayant "des traits asiatiques ou négroïdes". Cette classification est expliquée dans un mémo "personnel et confidentiel" écrit en 1972 pour l'adjudant général de l'armée. On peut y lire : "Officiellement, nous affirmons que nous ne tenons aucune statistique sur les soldats de couleur. En fait, nous avons un dossier établi en fonction des caractéristiques des recrues attestées par les médecins militaires, c'est-à-dire Européen du Nord, Méditerranéen, Asiatique, Africain, négroïde ou autre." "Une nette distinction, précise le mémo, est faite entre les Européens du Nord et tous les autres. La détermination de ces caractéristiques est à la discrétion des médecins." Etre "chinois", "maltais", avoir le teint mat ou l'apparence d'un "basané" pouvait suffire à être gratifié du "facteur D". "Le système est en place depuis 1957, peut-on encore lire dans le document de 1972. Il nous a permis de surveiller le nombre des non-Européens dans l'armée, afin d'assurer que nos niveaux d'assimilation soient respectés." En février 1974, un autre mémo, rédigé par un certain Denis Brennan, membre du même bureau de l'adjudant général, pratique la litote en assurant que "la façon dont l'armée enregistre la couleur de peau des soldats est complexe", et, conseille-t-il, "nous ne pensons pas qu'il soit approprié de le mentionner aux ministres". Manière d'avouer que le gouvernement n'était pas informé des pratiques de l'état-major. Interrogé à ce sujet, en 1968, le ministre de la défense du gouvernement travailliste de l'époque, Denis Healey, avait qualifié d'"insatisfaisant" le nombre des soldats de couleur dans "certains régiments". Il n'y avait à l'époque qu'un seul soldat "non blanc" dans la police militaire royale, et un seul dans les services de renseignement militaires. NOUVELLE LOI En 1972, l'Institut sur les relations raciales - un organisme officiel - avait demandé à l'armée de lui préciser sa politique en la matière. Après avoir hésité à répondre pendant neuf mois, les militaires avaient choisi de mentir effrontément : "L'armée n'établit plus de statistiques qui permettraient d'identifier ses soldats de couleur. Les soldats de couleur n'étant pas traités différemment des autres, c'est un travail dont l'armée a décidé qu'il n'avait plus lieu d'être." En 1975, une note sur le "facteur D" atteste que le système de quotas survit : "Entre 1,5 % et 2 % des recrues de l'armée ont cette caractéristique. Cette information étant fondée sur des données médicales, elle ne doit pas être divulguée à l'extérieur." Les archives ne précisent pas à quel moment exact cette pratique a été abandonnée. Aujourd'hui, le pourcentage des soldats "non blancs" est bien connu : 5 % de l'ensemble du contingent, dans un pays où les minorités ethniques représentent 7,9 % de la population. "Nous employons les meilleures recrues, quelle que soit leur origine ethnique", assure un porte-parole du ministère de la défense. Cette affaire du "facteur D" est l'une des nombreuses révélations rendues possibles par la nouvelle loi sur la liberté d'information, votée en 2001 et entrée en vigueur le 1er janvier. Ce texte permet à quiconque, Britannique ou non, vivant n'importe où dans le monde, de questionner quelque 100 000 organismes publics et administratifs du royaume, lesquels sont tenus de répondre dans les vingt jours.