Procès Le dissident aveugle Chen Guangcheng face aux juges Connu pour avoir révélé une campagne d'avortements et stérilisations forcés dans l'est de la Chine, il est jugé en appel pour «trouble à l'ordre public». Le procès en appel d'un emblématique militant chinois devrait s'ouvri aujourd'hui à Yinan, dans la province du Shandong. Aveugle depuis l'enfance Chen Guangcheng, 35 ans, a été condamné en août à quatre ans et trois moi de prison pour troubles à l'ordre public et atteinte à la propriété privée Une peine exorbitante compte tenu des faits : trois voitures renversées lor d'une petite manifestation Cette accusation n'est qu'un paravent : Chen, infatigable militant des droits de l'homme, a révélé une campagne d'avortement et de stérilisation forcés dans sa région. Quelque 10 000 femmes de sa province seraient concernées, certaines auraient été contraintes d'avorter à sept ou huit mois de grossesse pour améliorer les performances du planning familial et la carrière des politiques locaux. En Chine, pays de l'enfant unique depuis 1979, les dirigeants provinciaux sont en effet surtout notés sur leurs résultats en matière de natalité. Arrêtée, affamée, battue. Lorsque la campagne a débuté, autour de la ville de Linyi, les victimes se sont aussitôt tournées vers Chen, l'aveugle aux lunettes de Ray Charles. C'est une célébrité dans sa province, encensé par les médias locaux jusqu'à l'affaire qui l'a envoyé derrière les barreaux. Dans les années 90, après des études de médecine traditionnelle, seule discipline accessible aux aveugles, Chen s'était tourné vers le droit, qu'il a appris en braille pour devenir l'avocat des pauvres sans titre ni droit d'accès aux prétoires. Handicapés, paysans, victimes sans recours, tous connaissent son adresse. Dans l'affaire du planning familial, il a enregistré des dizaines de témoignages de paysans. Des pères de deux enfants, exception accordée aux paysans qui ont besoin de bras pour la terre, lui ont confié qu'ils avaient été obligés, sous les coups et la menace, de se faire stériliser. La famille entière d'une femme enceinte en fuite a été arrêtée, affamée et battue pour convaincre la jeune mère de se rendre et d'interrompre sa grossesse. Ce qu'elle a fait, avec un médecin du planning familial, un mois avant terme. Il lui a ensuite été «proposé» une ligature des trompes. Chen a fait un rapport avec un professeur de droit de la capitale, dénonçant un abus manifeste de la politique de l'enfant unique, et proposé son aide juridique aux victimes. Depuis les années 80, les campagnes d'avortement et de stérilisation forcés, courantes à cette époque, ont été déclarées illégales et remplacées par une information poussée sur la contraception. Les autorités locales du Shandong, premières visées, n'ont pas apprécié le travail de Chen ni sa popularité grandissante. Il a été placé en résidence surveillée en septembre 2005, puis arrêté sans explications six mois plus tard. Son épouse, Yuan Weijing, professeur d'anglais, et leurs deux enfants de 5 ans et 1 an, assignés à résidence depuis, ne l'ont plus revu. Le procès, auquel la femme de Chen n'a pu se rendre, a eu lieu le 24 août. Li Fangping, son avocat, a bien failli ne pas y assister. La veille de l'audience, à peine arrivé dans la province, il a été arrêté, avec les deux autres défenseurs de Chen, par des policiers et conduit au commissariat pendant plusieurs heures. Un fonctionnaire local les accusait du vol d'un sac. «C'était un coup monté pour nous empêcher d'aller au procès», dénonce Li Fangping. L'audience s'est tenue à huis clos et les avocats n'ont pu plaider. Le tribunal a désigné des défenseurs d'office et l'on a seulement débattu de la manifestation qui s'était tenue sous les fenêtres de l'aveugle, assigné à résidence et privé de téléphone. Le jour de la fête du printemps 2006, une centaine de paysans s'étaient rassemblés et le ton est monté, selon Li Fangping, lorsque la police a refusé de porter secours à une grand-mère victime d'un malaise. Intimidation Au procès, on n'a parlé que des trois voitures endommagées et des 5 000 yuans (500 euros) de préjudice. Des témoins, «forcés» selon l'avocat, sont venus raconter que Chen les avait incités à manifester. Personne n'a évoqué le véritable fond de l'affaire. La sentence, quatre ans et trois mois, est tombée deux heures plus tard. Elle a fait le tour du monde mais pas celui de la Chine, où les journaux n'évoquent pratiquement pas l'affaire. En novembre, surprise, les autorités ont annoncé un nouveau procès en raison «de graves violations des procédures légales». Prévue le 20 novembre, l'audience a été reportée à aujourd'hui. L'épouse de Chen et son avocat dénoncent une campagne d'intimidation de la police auprès de témoins cités par la défense. Chen est confiant. Dans sa cellule de 20 mètres carrés, consigné tout le jour avec sept autres détenus, «il est, rapporte son avocat, incroyablement déterminé».