Découverte Le chamboulement qui a sculpté le système solaireL'origine des mots peut dire celle des choses. En revenant à l'étymologie du terme "planète" , issu du grec "errant" , quatre astrophysiciens montrent qu'un passé de vagabondage tardif explique le présent ordonné de notre système solaire. De cette adolescence agitée de nos astres, qui ont fini par se ranger en un mobile si équilibré, l'équipe internationale, réunie dans un programme de l'Observatoire de la Côte-d'Azur (OCA-CNRS) à Nice, a dressé un modèle en mesure de faire évoluer en profondeur notre connaissance des centaines de millions d'années qui ont suivi la formation du système solaire, il y a 4 milliards et demi d'années. Ou plutôt notre méconnaissance. Trois articles publiés par la revue Nature du 26 mai, sont en effet en mesure de dissiper plusieurs mystères qui perturbaient les astronomes depuis des années.Phoebé, le satellite capturé par SaturnePhoebé s'était fait remarquer depuis longtemps par l'extravagance de son orbite autour de Saturne, à la fois rétrograde (dans un sens de rotation inverse à celui de la grande majorité des corps du système solaire), inclinée et excentrique. La sonde Cassini qui, à peine arrivée dans les parages de la planète aux anneaux, lui a réservé sa première perquisition, le 11 juin 2004, vient d'en fournir les preuves. La petite lune de 220 kilomètres de diamètre n'a pas du tout la même origine que la plupart des satellites de Saturne, formés en même temps que leur planète. Il vient de beaucoup plus loin. Etudiée par Cassini, sa composition, principalement de glace carbonée, le rapproche de celle des objets de la ceinture de Kuiper, à la périphérie du système solaire.Comment est-il arrivé là ? Alessandro Morbidelli émet l'hypothèse qu'il ait pu être capturé par l'attraction de Saturne lors du grand chambardement décrit par sa simulation numérique, renforçant la crédibilité du scénario proposé. Phoebé ne serait pas le seul dans ce cas. D'autres satellites plus petits, parmi la trentaine que compte Saturne, tournent dans un sens rétrograde et pourraient avoir la même origine. D'autres lunes des planètes géantes, telles que Triton, en orbite autour de Neptune, présentent aussi des masses et des densités qui les rapprochent de Phoebé et les désignent comme d'éventuels otages retenus sur le passage de la grande migration.[-] fermerLa première énigme prend la forme des grandes taches sombres que tout observateur de la Lune a pu observer facilement à l'oeil nu. Lorsque les missions Apollo se sont rendues sur place, elles ont constaté que ces marques correspondaient à de larges bassins d'impact au fond desquels de la lave s'est solidifiée. Seul un bombardement massif de comètes (composées de glace et de poussière) ou d'astéroïdes (constitués de roches) pouvait expliquer de telles contusions. Le problème est apparu quand les échantillons ramenés sur terre ont été datés : la pluie de projectiles ne pouvait avoir frappé la surface lunaire que 700 millions d'années après la naissance de la Terre et de son satellite, à une époque où le système solaire était a priori réputé pour son calme, après l'anarchie de sa période de formation.L'origine de ce bombardement intense tardif (LHB, selon ses initiales anglaises) demeurait donc inexpliquée. "Pour le comprendre, il fallait trouver la raison qui avait pu pousser de nombreux corps célestes à demeurer tranquilles pendant des centaines de millions d'années, puis à s'affoler si tard et si brusquement" , dit Alessandro Morbidelli (OCA) cosignataire des trois publications avec Rodney Gomes (Observatoire national du Brésil), Harold Levison (Southwest Research Institute, Colorado) et Kleomenis Tsiganis (OCA et université de Thessalonique, Grèce).En mettant au point leur modèle, les chercheurs sont partis de l'hypothèse que les quatre planètes géantes de notre système (Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune, par ordre d'éloignement croissant par rapport au Soleil) se trouvaient, une fois formées, beaucoup plus proches les unes des autres que ne l'avaient supposé les astronomes. Elles étaient entourées par un dique de petits corps dont la masse totale était de l'ordre de 35 fois celle de la Terre.Pendant plusieurs centaines de millions d'années, les quatre géantes n'évoluent que très lentement. Elles finissent le ménage de leur petit coin de galaxie en éjectant progressivement les corps qui se trouvaient sur le bord interne du dique qui les entourait. Les conséquences de ces mouvements de fronde sont brutales pour les petits corps mais pas non plus anodines pour les géantes dont elles font légèrement évoluer les orbites : Jupiter se rapproche plutôt du centre tandis que les trois autres s'en éloignent. Jusqu'à ce moment crucial où Saturne se retrouve sur une orbite qui lui fait exactement boucler un tour de Soleil quand Jupiter en accomplit deux.Les astronomes connaissent bien ce phénomène : ils l'appellent une résonance dont la symétrie apparente a pour effet paradoxal d'additionner les perturbations de chaque planète.Alors, le scénario s'accélère. A l'origine presque circulaires, les orbites de Jupiter et Saturne deviennent excentriques, c'est-à-dire qu'elles s'allongent pour former un ovale. Elles viennent ainsi affoler celles d'Uranus et surtout de Neptune, qui entre dans le disque périphérique comme dans un jeu de quilles. A la monotonie de 700 millions d'années, succède l'animation d'un samedi soir au bowling. La plupart des corps sont violemment chassés vers l'intérieur du système solaire où ils martèlent notamment la surface de la Lune et de la Terre. Le reliquat, qui représente à peine 1 % de la masse terrestre demeure en place pour former aujourd'hui ce qui est connu sous le nom de ceinture de Kuiper.Grâce à cette théorie, l'équipe de Nice a ainsi réussi ce qu'aucun scénario n'avait accompli jusque-là. Deux énigmes gigognes ont été résolues : le bombardement tardif, mais aussi les orbites excentriques des planètes géantes. "Nous avons effectué plus de 50 simulations et, statistiquement, nous tombons sur des résultats conformes aux orbites observées, nettement contenus dans les marges d'erreur" , commente Alessandro Morbidelli.Les chercheurs ont toutefois attendu un an avant de publier leur proposition. Car il fallait évacuer une ultime difficulté qui menaçait la solidité de tout l'édifice. Dans l'orbite actuelle de Jupiter, naviguent en effet deux groupes d'astéroïdes : les "Grecs" qui précèdent la planète et les "Troyens" (qui ont donné leur nom à l'ensemble) qui la suivent à une distance équivalente.Comment ces corps ont-ils pu résister à la pagaille généralisée ? "Nous avons bloqué sur ce problème pendant plusieurs mois avant de réaliser que la solution était sans doute simple, raconte M. Morbidelli. Si, dans le grand mouvement, des astéroïdes ont dû être chassés de cette place, d'autres ont pu venir s'y installer. Comme dans une baignoire qui se vide alors que le robinet est ouvert : entre ce qui arrive et ce qui part, il reste toujours une quantité de liquide égale. Pour nous en assurer, nous avons mené les simulations les plus complexes que nous ayons jamais réalisées en dynamique planétaire. Non seulement les résultats débouchent sur la distribution actuelle des Troyens, mais, en plus, ils montrent que leur masse est en accord avec celle du disque de planétésimaux tel qu'il existait." Comme au judo, les chercheurs ont réussi, là, à transformer le point faible de leur théorie en force supplémentaire pour leur démonstration, fournissant au passage une interprétation convaincante à l'existence des Troyens. "Notre modèle explique tant de choses, selon un cheminement naturel et générique, qu'il doit être relativement correct, affirme M. Morbidelli. Mais ce n'est toutefois qu'une théorie qui doit encore être validée par des observations." Pour cela, les chercheurs lèguent une série de prédictions dont la vérification pourra lester la crédibilité de leurs calculs. La principale est que l'on peut penser que les satellites capturés par chacune des planètes géantes, les astéroïdes du groupe des Troyens et les objets de la ceinture de Kuiper, ayant la même origine, doivent partager la même composition chimique.
