Condamnation Le caporal Charles Graner, tortionnaire de la prison d'Abou Ghraib, a été jugé coupable Le militaire américain est passible d'une peine maximale de quinze ans d'emprisonnement. New York de notre correspondant L'ancien caporal Charles Graner, 36 ans, l'un des principaux acteurs des tortures, mauvais traitements et autres humiliations sexuelles infligés aux prisonniers de la prison irakienne d'Abou Ghraib (près de Bagdad), a été reconnu coupable, vendredi 14 janvier, par la cour martiale de Fort Hood en Californie. Après cinq heures de délibération, le jury militaire composé de dix hommes, dont quatre officiers, a considéré que le caporal Graner n'avait pas obéi aux ordres, comme le soutenait la défense. A la lecture du verdict, ni l'accusé ni ses parents présents n'ont manifesté la moindre émotion. Charles Graner a été jugé coupable des cinq chefs d'inculpation retenus contre lui : complot visant à maltraiter des prisonniers, abandon de service, cruauté et mauvais traitements, coups et blessures et actes indécents. Le réserviste de la 372e compagnie de police militaire et ancien gardien de prison est passible d'une peine maximale de quinze ans. Après s'être prononcé, le jury a immédiatement commencé, vendredi soir, la phase dite de sentence en entendant des témoins des deux parties. Il s'agit du quatrième soldat traduit devant la justice militaire américaine à la suite du scandale de la prison d'Abou Ghraib. Il a éclaté au printemps 2004, après la publication de photographies de prisonniers maltraités par leurs geôliers à l'automne 2003 et durant l'hiver 2003-2004. Ces images montrent des détenus nus empilés les uns sur les autres formant une pyramide humaine, d'autres terrorisés par des chiens, un prisonnier cagoulé debout sur une caisse avec des fils électriques attachés aux mains, ou encore un homme nu tenu en laisse par une soldate. Vendredi 14 janvier en début de journée, le procureur, le capitaine Chris Graveline, avait rappelé un à un les exemples de tortures infligées. "C'était pour le jeu, pour rire. Ce que nous avons ici sont des sévices purs et simples. Il n'y a pas la moindre justification... L'accusé est intelligent et l'instigateur de ce qui s'est passé à Abou Ghraib. Tout cela tournait autour de leur sexualité dépravée et de leur humeur. Serait-il amusant de les forcer à se masturber ? Serait-il amusant de leur faire simuler une fellation ? Il ne s'agit pas de renseignement militaire." Les avocats de la défense n'ont pas vraiment réussi à contester la thèse de l'accusation et de l'armée américaine, selon laquelle les mauvais traitements étaient de la seule initiative des soldats poursuivis et étaient limités à des éléments isolés. Tout au long de la semaine, Charles Graner a été décrit comme une brute sadique et sans scrupule prenant plaisir à abuser des détenus et à les humilier. Guy Womack, l'avocat civil de l'accusé, n'a pourtant cessé de répéter que son client suivait les ordres consistant à "attendrir" les prisonniers avant les interrogatoires. "Il s'agissait d'ordres persistants et constants", a-t-il expliqué. Mais il n'a pas apporté de preuve flagrante. "Le gouvernement voudrait qu'un caporal, l'un des plus jeunes engagés ici, prenne les coups pour lui. Aucun témoin de la chaîne de commandement n'est venu contredire ce qui s'est dit ici. Les policiers militaires n'étaient pas des experts, ils étaient les instruments des agents de renseignement", avait ajouté l'avocat. La défense n'a pas pu démontrer, non plus, que d'autres militaires ont infligé aux prisonniers le même type de torture que Charles Graner. Les vingt-six témoins interrogés, et même mercredi et jeudi ceux de la défense, ont laissé l'impression que l'accusé faisait cela pour le plaisir. En plus des témoignages accablants, dont trois enregistrés par vidéo d'anciens détenus présentant Charles Graner comme leur "premier bourreau", l'accusation a présenté des courriers électroniques envoyés en novembre 2003 par Charles Graner à des amis et de la famille, y compris ses jeunes enfants. Il s'agit de nouvelles photographies des sévices accompagnés de messages où il se vante de ses "exploits". La cour n'a pas voulu rendre public ces courriers, mais le New York Times les a obtenus et en a publié des extraits. "Encore une autre nuit assommante au travail", écrit-il à côté d'une image d'un prisonnier nu et attaché hurlant de douleur, les jambes blessées. "Comment faire passer une journée en enfer à un bâtard", attaché à une photographie d'un prisonnier la tête en sang. Certains témoignages laissaient tout de même entendre que la chaîne de commandement savait ce qui se passait. Le 16 novembre 2003, un officier supérieur félicitait Charles Graner. "Vous faites un excellent travail. Vous avez reçu de nombreuses félicitations de la chaîne de commandement et particulièrement du lieutenant colonel Jordan." Le lieutenant-colonel Steven Jordan était le responsable des renseignements de la prison. La cour martiale a révélé cette semaine qu'il faisait l'objet d'une enquête sur son comportement à Abou Ghraib. Un témoin, Megan Ambuhl, qui appartenait aussi à la 372e compagnie de police militaire et a été renvoyée de l'armée après avoir plaidé coupable, a déclaré avoir reçu l'ordre d'humilier les détenus. "Ils voulaient que j'aille dans la douche montrer du doigt les parties génitales des prisonniers et éclater de rire. Cela arrivait souvent et impliquait d'autres femmes soldates, a-t-elle expliqué. Nous faisions cela pour sauver la vie des soldats qui étaient dehors. Les détenus avaient des informations que les interrogateurs devaient trouver", a-t-elle ajouté. Questionnée par l'accusation, Megan Ambuhl a fini aussi par reconnaître avoir eu une liaison avec Charles Graner et vouloir le protéger. L'accusé est également le père de l'enfant de Lynndie England né en octobre. La soldate qui figure sur bon nombre des photographies de sévices doit être jugée à partir du 18 janvier à Fort Bragg en Caroline du Nord. En plus de Megan Ambuhl, trois soldats impliqués ont plaidé coupable. Deux autres passeront aussi à Fort Hood devant une cour martiale.