Anniversaire Le 60e anniversaire de la libération des camps nazis, en janvier 1945, donne lieu à de très nombreuses cérémonies. Jeudi 27 janvier, une cinquantaine de chefs d'Etat et de gouvernement et près de 10 000 personnes se retrouveront à Auschwitz, le plus grand des camps d'extermination libéré par l'armée rouge. Cette commémoration a pris une dimension exceptionnelle, bien plus importante que celle organisée il y a dix ans et qui avait suscité de nombreuses polémiques, allant jusqu'à provoquer des manifestations séparées. En Pologne, les controverses sur la spécificité de la Shoah se sont apaisées. Dimanche, à Paris, a été inauguré le "Mur des noms" où sont inscrites les identités des 76 000 juifs déportés de France. Une session spéciale des Nations unies devait se tenir lundi, à New York.Le 60e anniversaire de la libération des camps nazis va donner lieu pendant toute la semaine à des célébrations qui culmineront en Pologne avec la cérémonie internationale organisée à Auschwitz le 27 janvier, jour anniversaire de l'arrivée de l'armée rouge dans le plus grand des camps de la mort, en 1945. Dix mille personnes environ y seront présentes, parmi lesquelles des délégations de déportés, des soldats russes, une cinquantaine de chefs d'Etat et de gouvernement, ainsi que de nombreux autres dirigeants.Ces manifestations sont d'une ampleur sans précédent. Comme en juin 2004 pour la commémoration du débarquement allié en Normandie, le souvenir semble mobiliser beaucoup plus qu'il y a dix ans, pour le 50e anniversaire.Les générations des témoins directs se fragilisent et, à dix ans d'intervalle, le devoir de relayer la mémoire dont ils sont porteurs s'impose avec plus d'urgence. Plusieurs pays d'Europe ont pris conscience ces dernières années de l'ignorance des jeunes générations relativement à cette période de l'Histoire et à ce que fut l'entreprise d'extermination des juifs d'Europe. Plusieurs pays sont aux prises avec diverses formes de résurgence de l'antisémitisme et de développement du racisme, qui rappellent instamment au devoir de mémoire.Il fallait cependant, pour que la commémoration de l'Holocauste pût prendre la dimension qu'elle aura cette semaine, que l'Europe au sens large y soit politiquement apte. Lors du 50e anniversaire, elle ne l'était pas. L'Allemagne avait refait son unité au sein de l'Union européenne quelques années plus tôt. L'effondrement des régimes communistes était censé avoir libéré les pays de l'Est d'une lecture idéologique de l'Histoire qui récusait la spécificité de la Shoah et assimilait la guerre froide à la poursuite du combat antifasciste. Mais tout cela était trop récent, les nouveaux ancrages mal assurés.LA QUERELLE DU CARMELLa guerre froide était finie mais, en janvier 1995, l'Europe n'était pas en paix. Six mois avant les massacres de Srebrenica, la guerre de Bosnie divisait les diplomaties impuissantes, pesait sur les consciences, jetait son discrédit sur toute manifestation de communion dans le "plus jamais ça".L'Europe n'était pas non plus en état de porter un même regard sur son Histoire et sur la Shoah, comme le confirmèrent les cérémonies du cinquantenaire à Auschwitz. La querelle du carmel s'était certes apaisée, l'Eglise catholique ayant fini par renoncer à la construction d'un couvent de carmélites aux portes de l'ancien camp. Mais Lech Walesa, le héros de Solidarnosc devenu président de la République, ne concevait ces cérémonies que comme un hommage à la nation polonaise martyre du IIIe Reich.Les polémiques entre Varsovie et les organisations juives se soldèrent par l'organisation de deux manifestations séparées. Plusieurs dirigeants déclinèrent l'invitation, tel François Mitterrand estimant que cet anniversaire devait être "l'affaire des déportés". Lech Walesa réussit l'exploit de prononcer, le 26 janvier 1995 à l'université Jargellone de Cracovie, un discours sur l'horreur des camps nazis dans lequel pas une seule fois il n'eut recours au mot "juif". Il rectifia le lendemain à Auschwitz, mais du bout des lèvres, tandis qu'Elie Wiesel était autorisé - après d'infinies tractations - à dire un kaddish, une prière juive aux morts.Six mois auparavant, Bill Clinton et François Mitterrand avaient orchestré en Normandie un hommage au Débarquement qui n'eut pas la même portée symbolique que celui de juin 2004. Ni l'Allemagne ni la Russie n'avaient été conviées. L'Allemagne n'était pas encore en mesure de qualifier sereinement de "libération" le déluge de feu qui s'est abattu sur elle à la fin de la guerre. Les Russes n'avaient pas été invités, au motif un peu court qu'ils n'avaient pas pris part au Débarquement. Cela renforça à Moscou les vieilles thèses national-soviétiques, passant sous silence les débuts de la guerre (et le pacte germano-soviétique) et s'indignant du mépris des Occidentaux pour le tribut que les Russes lui ont effectivement payé.Dix ans plus tard, l'Europe est encore loin d'une lecture commune de l'Histoire. Les Polonais, par exemple, ont pu le vérifier en août, quand Vladimir Poutine a repris à son compte la version soviétique de la "victoire commune" polono-russe contre les nazis à propos de l'anniversaire de l'insurrection de Varsovie - ces jours sans fin de l'été 1944 où l'armée rouge, l'arme au pied, regarda sans bouger depuis l'autre rive de la Vistule la Wehrmacht anéantir leur capitale insurgée. Les Allemands ont pu vérifier eux aussi récemment que tous les comptes ne sont pas apurés avec la Pologne, lorsqu'a fait rage dans ce pays un mouvement leur réclamant des réparations de guerre et que la Diète polonaise a entériné cette revendication en septembre. La semaine dernière encore, des chamailleries ont éclaté au Parlement européen autour de l'anniversaire de la libération des camps (Le Monde des 23 et 24 janvier).Le programme de la cérémonie du 27 janvier à Auschwitz et la liste des intervenants témoignent néanmoins que les temps ont changé en dix ans. Les autorités polonaises ont conçu cette fois la commémoration dans un esprit d'ouverture digne de son objet.Les dirigeants polonais ont veillé à ne pas transformer ce rendez-vous du souvenir en un sommet de chefs d'Etat, mais des rencontres sont prévues en marge, à Cracovie. Les commémorations servent en effet aussi d'instrument diplomatique, pour surmonter les contentieux historiques et les querelles du moment. Le président Kwasniewski s'entretiendra avec M. Poutine jeudi ; il a déjà fait savoir qu'il se rendrait à Moscou le 9 mai, pour l'anniversaire de la fin de la seconde guerre mondiale, "la" date dans le rituel commémoratif russe.CLIMAT ASSAINILe nouveau président ukrainien Viktor Iouchtchenko participera également aux cérémonies, avant de poursuivre la tournée qu'il a entreprise en Europe immédiatement après son intronisation. M. Kwasniewski aura aussi un entretien avec Jacques Chirac, dans un climat totalement assaini par rapport à la période des brouilles franco-polonaises, à propos de la guerre en Irak ou de la Constitution européenne.Le président français attache une grande importance à la cérémonie d'Auschwitz. Passé maître dans l'art de la commémoration, il avait remarquablement exploité, en juin, la gravité particulière que conférait à l'anniversaire du débarquement allié en Normandie la fêlure qui s'est insinuée ces dernières années au cœur de l'Alliance atlantique. Depuis, et jusqu'en mai, l'actualité politique française aura été ponctuée des messages délivrés à l'occasion de multiples cérémonies du souvenir.George W. Bush a délégué à Auschwitz le vice-président Dick Cheney. Le président américain doit venir en Europe, mais en février seulement, pour un sommet de l'OTAN. Quant aux Britanniques, c'est le secrétaire au Foreign Office Jack Straw qui les représentera ; à un niveau à la fois honorable et modeste, ajusté sans doute au poids conjugué, dans la sensibilité britannique, de la compassion et de l'absence totale de culpabilité historique.Claire TréanLe plus grand des camps de la mortLe 27 janvier 1945, les soldats de l'armée rouge entraient dans le plus grand des camps de la mort, Auschwitz-Birkenau. Les Soviétiques découvraient quelque 7 000 personnes encore vivantes dans les trois enceintes du complexe ; les autres prisonniers plus valides avaient été forcés de suivre dans la fuite leurs bourreaux nazis. De 1940 à 1945, au moins 1,1 million de personnes ont péri à Auschwitz-Birkenau, dont 960 000 hommes, femmes et enfants juifs déportés des pays d'Europe occupés par les nazis. 75 000 Polonais, 21 000 Tsiganes et 15 000 Soviétiques ont également été tués. Initialement camp de concentration pour 10 000 prisonniers, Auschwitz avait été transformé en usine d'extermination de masse, étendu jusqu'au village de Brzezinka (Birkenau en allemand), situé à 3 km, et équipé de chambres à gaz reliées à des crématoires. Deux cent trente soldats soviétiques ont péri durant l'opération de libération du camp.
