Annonce Le 10 mai, jour de mémoire partagée autour de l'esclavageMaryse Condé n'en revient toujours pas. "Mais jamais, dans mon enfance, on ne m'a parlé de l'esclavage !", dit-elle au Monde, à l'occasion d'un court séjour à Paris. Elle est écrivaine, guadeloupéenne. Son dernier roman retrace dans une "autobiographie rêvée" sa propre Histoire de la femme cannibale (éd. Mercure de France, 2003). Elle a longtemps été professeur à l'université Columbia, aux Etats-Unis. Elle a remis, mardi 12 avril, au premier ministre français le premier rapport du Comité pour la mémoire de l'esclavage, qu'elle préside, installé voici un an pour tenter de combler un "trou de mémoire". Un énorme trou : deux cent onze ans.Une première fois, le 4 février 1794, l'esclavage est aboli par la France, avant d'être rétabli, en 1802, par Napoléon Bonaparte, influencé médira-t-on par sa première épouse, Joséphine de Beauharnais, fille de planteurs martiniquais. Il faut cependant attendre encore près d'un demi-siècle pour que Victor Schoelcher, député de la Guadeloupe et de la Martinique, impose la fin légale de l'esclavage dans l'empire colonial français.Mais c'est le temps de la marine à voile. Le décret du 27 avril 1848 n'arrive, au fil des vagues, que le 22 mai en Martinique, le 27 en Guadeloupe, le 10 juin en Guyane et seulement le 20 décembre à la Réunion. Une arrivée parfois précédée par des soulèvements d'esclaves.Dès lors, qui doit-on honorer ? Les quelques tenants, comme Schœlcher, de l'abolitionnisme, symboles éclairés d'"une France bonne et généreuse" ? Ou les millions de victimes anonymes de la traite négrière ? Et comment trouver, enfin, une "mémoire partagée de l'esclavage" pour les descendants des anciens colonisateurs et ceux des anciens colonisés ?La question divise au plus haut point les communautés d'outre-mer. Elle a d'autant plus alimenté les débats des onze membres du Comité historiens, sociologues, philosophes, juristes, médecins, etc. réunis autour de Maryse Condé que déjà, en 1948, lors du centenaire de la signature du fameux décret, jugée "à la fois immense et insuffisante" par le poète Aimé Césaire, celui-ci avait pointé du doigt le principal : "Le racisme est là. Il n'est pas mort."Le compromis pour la célébration annuelle de la "Journée des mémoires de la traite négrière, de l'esclavage et de leurs abolitions" s'est finalement porté sur la date du 10 mai. Non pas celui de la victoire de l'ancien président Mitterrand, qui avait rendu hommage à Schoelcher, au Panthéon, lors de son accession au pouvoir, mais le 10 mai 2001. A cette date, le Parlement français a adopté la proposition de loi de la députée de Guyane Christiane Taubira, elle-même née de sangs mêlés, portant reconnaissance pour la première fois en Europe de "l'esclavage et de la traite négrière comme crimes contre l'humanité".
