Liberation L'avocate France Moulin remise en liberté Accusée de divulgation d'informations, elle était incarcérée depuis le 19 avril. Enfin libre. Maître France Moulin, l'avocate mise en examen puis incarcérée à la prison de Bourges depuis le 19 avril, s'apprêtait à regagner, hier soir, son domicile toulousain. Mais si sa libération est accueillie avec satisfaction par ses confrères qui s'étaient mobilisés contre ce qu'ils estimaient être «une détention abusive», l'affaire continue. Primo, l'avocate est toujours soupçonnée de «divulgation d'informations à une tierce personne susceptible d'être mise en examen». Deuzio, l'article 434-7-2, qui réprime à hauteur de cinq ans de prison cette divulgation, reste dans la ligne de mire de la profession qui appelle à une manifestation le 19 mai (lire ci-contre). Soulagement. France Moulin, 43 ans, est la première à faire les frais de ce nouvel article de loi. C'est parce qu'elle aurait informé d'une prochaine perquisition l'ami d'un client numismate, accusé de blanchiment, qu'elle a été mise en examen. Le soulagement de ses pairs aujourd'hui est à la hauteur du tollé provoqué à l'époque par son arrestation. «Nous sommes heureux de la voir sortir après ces 23 jours d'incarcération. Pour un avocat, ce qui prime c'est la liberté. La détention ne peut être considérée que comme un événement exceptionnel», souligne Me Sacaze, son conseil orléanais. «C'est une nouvelle appréciable qui intervient dans un dossier pour lequel nous nous sommes énormément investis», insiste Me Bories, son avocat toulousain. «Il est tout de même surprenant que le juge qui est à l'origine de son incarcération soit le même qui prononce aujourd'hui sa remise en liberté.» Une surprise que l'on retrouve chez certains magistrats mais avec un agacement d'un autre ordre : «Cette histoire est une véritable crapulerie. Je ne comprends pas que l'on puisse tolérer le comportement de cette avocate qui a clairement et sciemment divulgué ses informations. Il faut savoir ce que l'on veut : soit arrêter les trafiquants et leurs complices, soit prendre le risque de voir prospérer une mafia incontrôlable au pouvoir économique exorbitant», s'indigne un magistrat orléanais. «Les avocats sont là pour défendre leurs clients, mais pas à n'importe quel prix. Il faut des règles déontologiques minimales.» Cette accusation serait justifiée, selon les sources du parquet, par «une série d'éléments lourds contenus dans le dossier de l'instruction». «On parle de sommes d'argent et de quantité de stupéfiants vertigineuses ! Il ne s'agit pas d'un petit larcin», renchérit le magistrat. Un argumentaire que Me Dominique Tricaud, vice-président de JAL (Justice Action Liberté), dénonce avec vigueur : «Si le parquet possède autant d'éléments à charge, qu'il les communique. Il donne conférence de presse sur conférence de presse sans avancer la moindre pièce.» Avec, de surcroît, cette question récurrente : qu'est-ce qui a bien pu pousser le parquet à demander sa mise en liberté, lui qui requérait le maintien en détention une semaine plus tôt ? «Les jours passant, nous sommes convaincus que le ministère de la Justice, voire le ministre en personne, a joué un rôle déterminant dans cette demande de libération. Sinon, pourquoi les magistrats auraient-ils soudainement changé leur fusil d'épaule ?, pense un avocat orléanais. Je crois qu'ils ont avalé une grosse couleuvre...» Repos. Pour l'heure, France Moulin «va se reposer quelques semaines avant de reprendre son activité professionnelle», indique Me Bories. «Cela étant, rien dans l'ordonnance de remise en liberté sous contrôle judiciaire ne lui interdit d'exercer. Elle pourrait, dès lundi matin, réintégrer son bureau toulousain.» Au moment de la levée d'écrou, Me Sacaze, qui avait fait le déplacement à Bourges, insistait, sur l'état de sa consoeur : «Ma cliente est très atteinte psychologiquement. Je pense qu'elle ne communiquera pas de sitôt ; et puis l'instruction continue.» Preuve de succès. Si, de l'avis général, l'affaire Moulin est loin d'aboutir, le combat de toutes les organisations d'avocats pour l'abrogation du texte incriminé contenu dans la loi Perben 2 a encore de beaux jours devant lui. «Nous partons confiants, affirme Me Tricaud. La libération de notre consoeur est une preuve du succès et de l'utilité de notre mobilisation.» Celle-ci a en tout cas conduit le garde des Sceaux, Dominique Perben, à créer un groupe de travail chargé de réfléchir à un éventuel aménagement de l'article 434-7-2. Dans l'immédiat, Bruno Stoven, le bâtonnier d'Orléans appelait hier tous les avocats à la plus grande vigilance