Attaque L'assaut de l'école tourne au chaos La responsabilité des forces russes dans le massacre fait polémique alors que plus de 200 personnes auraient péri à Beslan. a tuerie - plus de 200 morts, environ 700 blessés selon le ministère russe de la Santé, vendredi soir, au moins 250 selon Interfax samedi - a commencé juste après 13 heures (11 heures à Paris). Devant le Palais de la culture, où étaient rassemblés depuis deux jours les parents des otages, le reporter de la première chaîne publique russe était juste en train d'expliquer en direct que les forces de l'ordre avaient préparé un «autobus chargé de médicaments, de pain et de yaourts» quand deux très fortes explosions, en provenance de l'école, ont ébranlé toute la petite ville. Mouvement de panique sur la place centrale, les familles s'enfuient. Des fusillades éclatent, qui vont durer pendant au moins sept heures. Selon la première version officielle, donnée très vite par l'agence russe Interfax, une dizaine de minutes peut-être après les deux explosions de départ, il avait été convenu avec les preneurs d'otages que des secouristes aillent récupérer des cadavres qui gisaient dans la cour de l'école. Alors qu'ils arrivaient dans la cour, deux bombes auraient explosé, le toit du gymnase s'est effondré et un groupe d'otages en a profité pour s'enfuir. Toit explosé, poutres calcinées C'est alors que les Spetznaz, les forces d'élite russes, auraient ouvert le feu et lancé l'assaut, «pour sauver les otages». A 13 h 58, l'agence russe Interfax, s'appuyant sur des sources officielles, annonçait que les forces de l'ordre étaient entrées dans l'école. Mais les boïviki (le nom donné en Russie aux combattants tchétchènes) «se sont changés», prévenait la chaîne de télévision russe NTV. «Les femmes ont mis des robes vertes ou des blouses blanches de médecin et des boïviki essaient de s'enfuir en ayant revêtu des habits de sport.» Dans la ville, des journalistes assistent à plusieurs courses-poursuites. Un homme barbu est presque lynché par une foule d'hommes devenus fous de rage, qui le prennent pour un boïviki. Devant l'école, c'est à un photographe de presse que la foule s'en prend. «Qu'est-ce que tu photographies ? Tu es un espion !» «Cassez-lui son appareil !» «Cassez-le !» Dans le chaos le plus complet, ambulanciers et civils courent vers l'école et rapportent les premières civières. Quelques dizaines de femmes et d'enfants sont évacués. A moitié nus - étouffant depuis deux jours dans le gymnase bondé, beaucoup s'étaient déshabillés - souvent couverts de sang, blessés parfois par balles dans les jambes, dans le dos ou à demi déchiquetés par les explosions. Pendant que ces otages sont évacués, les tirs de fusil et d'artillerie autour de l'école continuent. Un homme qui vient de sortir un blessé de l'école ne veut pas dire ce qu'il a vu, mais crie : «Ecrivez, ce sont des bêtes qui ont fait ça. Ces terroristes, ce sont des bêtes.» Autour de l'école, c'est toujours le même chaos, indescriptible : quelques secouristes dans leurs vieilles camionnettes grises où les blessés sont jetés à même le plancher, des bénévoles qui courent pour porter les civières, des soldats et des civils qui se promènent une kalachnikov sous un bras, un petit bandeau de secouriste sur l'autre. Cette foule mélangée avance jusqu'à la cour de l'école, que les terroristes avaient soi-disant minée, prétendaient les autorités depuis deux jours. Le gymnase où étaient détenus la plupart des otages est bien visible, le toit explosé, quelques poutres calcinées encore fumantes. Vers 19 heures, alors que les tirs s'apaisent, des soldats bouclent enfin la cour de l'école où la foule se pressait depuis plus de deux heures. «Reculez, on ne sait pas ce qui a été miné», crie un soldat pour repousser les civils. Bataille de communication Une série d'explosions continue dans et derrière l'école, achevant de démolir le toit. Les Spetznaz ont maintenant enfin le contrôle de l'école, la foule est évacuée. Il y a de fortes explosions qui continuent de se faire entendre, laissant supposer que des boïviki se sont bel et bien échappés et continuent d'être poursuivis dans la ville par les Spetznaz. A la télévision russe, la bataille de la communication ne fait pourtant que commencer. «L'assaut n'était pas préparé parce que nous avions un accord avec les preneurs d'otages. Nous avions convenu des négociations», répète en boucle le chef local du FSB, Valeri Andreïev, sur les télévisions russes. «Et nous avons la preuve qu'il s'agit bien de terrorisme international parce que, sur les 20 bandits qui ont été tués, il y avait dix Arabes, dont un nègre.» Selon les autorités, le commando aurait été dirigé par Mogamed Evloïev, un terroriste de 25 ans d'origine ingouche mais né à Grozny, la capitale tchétchène. Vendredi soir, il était encore donné parmi les boïviki qui auraient réussi à s'enfuir. Vers 23 heures, la cellule de crise révisait le bilan de «20 bandits tués» : huit corps de membres du commando découverts, trois arrêtés et quatre toujours en fuite. «On nous avait prévenus» Alors qu'elle attend des blessés dans la cour, un médecin secouriste, dépêché en renfort le matin même depuis Vladikavkaz, la capitale de l'Ossétie du Nord, confie pourtant : «Nous savions à l'avance ce matin que nous devions nous attendre à quelque chose aujourd'hui. On nous avait prévenus qu'il y aurait des morts.» Tandis que les autorités russes assuraient vendredi soir encore que l'assaut avait été involontaire et non préparé, ce témoignage et l'attitude des autorités vendredi matin avant l'assaut entretiennent le doute sur cette version. On ne pouvait pas exclure vendredi soir que les Spetznaz aient plutôt provoqué eux-mêmes le dénouement en faisant exploser le toit du gymnase. A 11 heures le matin, deux heures avant l'assaut, le président de la République d'Ossétie du Nord, Alexandre Dzassokhov avait fait rassembler les proches des otages dans le Palais de la culture et chasser tous les journalistes de la salle pour faire aux familles une grande leçon, d'un ton qui ne souffrait pas de questions. «Nous continuons les contacts avec les bandits, assurait-il. Un conseiller personnel du très estimé Vladimir Vladimirovich Poutine, Aslambek Aslakhanov, va arriver à Beslan à 12 h 30 pour mener de nouvelles négociations avec les preneurs d'otages.» «Nous avons bon espoir de pouvoir faire venir aujourd'hui de la nourriture» aux otages, qui, depuis deux jours et deux nuits, étaient sans vivres, déclarait-il. «J'ai pris contact avec quelqu'un à Londres», confiait aussi le président nord-ossète, laissant entendre par là que, pour le salut des otages, les autorités russes étaient allées jusqu'à briser le plus grand de leur tabou : prendre contact avec le leader indépendantiste tchétchène Aslan Maskhadov, dont l'émissaire se trouve à Londres. «Aujourd'hui, il n'est pas question d'une solution par les armes», assurait encore le président local, qui aurait même curieusement déclaré que les forces de l'ordre estimaient avoir «huit ou dix jours devant elles». Vagues revendications Toutes ces assurances et la précision de l'heure exacte d'arrivée du conseiller de Poutine à Beslan auraient aussi bien pu être une diversion, pour rassurer les familles et les preneurs d'otages, si la rumeur leur parvenait. Des complices des boïviki peuvent en effet s'être mêlés à la foule des parents et badauds, prévenait vendredi matin encore le président d'Ossétie du Nord, qui exhortait les familles à «rester très solidaires des autorités». «Après coup, nous ferons une analyse approfondie de ce qui s'est passé, promettait-il, mais pour le moment, il faut que vous me croyiez. Ne croyez pas ceux qui veulent remettre en cause le pouvoir.» Les revendications des preneurs d'otages ne sont toujours «pas claires», assuraient au même moment tous les officiels rencontrés devant l'état-major de crise. «Ils veulent l'indépendance de la Tchétchénie, ils veulent que celle-ci soit un Etat hors de la Russie», confirmait aux familles le président nord-ossète, comme s'il s'agissait là d'une revendication tellement vague et aberrante qu'elle ne méritait même pas d'être prise au sérieux. Les autorités, qui n'avaient, jusqu'à vendredi matin, fait officiellement état que de 354 otages détenus dans l'école, indiquaient vendredi que, selon les terroristes, plus de 1 200 personnes s'y seraient en fait trouvées. A minuit, vendredi, Vladimir Poutine n'avait toujours fait aucune déclaration publique sur la tragédie de Beslan.