Exposition L'art total de Nicolas Schöffer, chantre de la modernitéAnecdote : en 1961, Nicolas Schöffer reçoit commande d'une émission pour la télévision française. Il réalise Variations luminodynamiques I, avec des superpositions d'images géométriques, le trio de Martial Solal, un duo de danseurs et une présentation de Catherine Langeais. Diffusée, l'émission provoque la colère de nombreux téléspectateurs, qui écrivent pour se plaindre de migraines ou du dérèglement de leur poste. En 1961, le film de Fernand Léger Ballet mécanique a quarante ans. Le film de Schöffer s'inscrit dans la logique de celui de Léger : même apologie de la technique moderne, même jeu avec les images entre abstraction et objet, même rythme rapide. Il n'empêche qu'il n'est pas compris et fait scandale, alors qu'aujourd'hui il semble appartenir naturellement à une histoire qui était déjà presque ancienne en 1961.L'excellente exposition que l'Espace Electra consacre à Schöffer place sans cesse le spectateur dans une telle situation : il ne peut s'empêcher de remarquer que l'oeuvre reprend et modernise, grâce à la technologie, des idées et des désirs qui étaient ceux de l'avant-garde abstraite dans l'entre-deux-guerres. Cependant, il ne peut manquer non plus de s'apercevoir que nombre des travaux de Schöffer semblèrent, au moment de leur apparition, d'une nouveauté difficilement acceptable. Tel a donc été le sort de Variations luminodynamiques I, mais aussi de SCAM 1, sculpture automobile sur un châssis Renault, de 1973, et de la Tour lumière cybernétique (TLC).Haute de 307 mètres, cette dernière devait être édifiée à la Défense et ne le fut pas, bien que Schöffer y ait travaillé de 1963 à 1979 et l'ait imaginée comme un ensemble interactif très savant où miroirs, projecteurs et flashes auraient réagi à l'environnement et à des données de toutes sortes, de la météorologie aux cours de la Bourse. La TLC aurait été le symbole monumental de l'industrie, de la métropole et de l'électronique. Match en fit sa "une" elle n'a pas été construite pour autant.Le Centre de loisirs sexuels que Schöffer rêva vers 1960 ne l'a pas été non plus. Il n'en reste que des esquisses et cette déclaration de l'auteur : "L'artiste doit cesser de pratiquer un art de l'image pour créer un art du conditionnement." Il reprenait ainsi à son compte la conception de l'artiste ingénieur de la société, capable de la transformer, de la "conditionner", de lui donner ses villes, son urbanisme, ses loisirs et son style. L'utopie de l'oeuvre d'art totale affectant tous les aspects de la vie n'est pas loin. On peut voir ici les traces du suprématisme de Malevitch, du néoplasticisme de Mondrian et du modernisme à la façon du Bauhaus et de Le Corbusier. L'une des premières sculptures"cybernétiques" de Schöffer fut du reste exposée à la Cité radieuse, en 1956. NOUVEAUX MATÉRIAUXNé en 1912 en Hongrie, venu à Paris en 1936, Schöffer est l'héritier de ces fondateurs. Il ajoute à la synthèse de leurs systèmes les découvertes de l'après-guerre, la cybernétique en progrès, les nouvelles lumières, les nouveaux modes de construction métallique, les nouveaux matériaux. Dès le milieu des années 1950, il construit des sculptures mobiles aux articulations complexes et aux couleurs primaires et plates, qui sont à l'exact opposé des Metamatics de Tinguely.Quand ce dernier met en scène l'effondrement comique de machines bricolées et absurdes, Schöffer exalte la netteté des lignes, le brillant des surfaces, la perfection régulière de moteurs. Les bidouillages hoquetants de Tinguely grincent et crissent. Les Chronos, Lux et Kyldex de Schöffer font entendre la douce musique des sphères. L'harmonique du nombre d'or détermine leurs proportions, et les rayons lumineux jouent à travers des cercles parfaits et sur des miroirs polis. Il est, dans ce genre, d'une absolue cohérence, ce que la mise en scène dense de ses pièces dans la pénombre rend bien sensible ici.Il est aussi d'une remarquable inventivité dans le traitement des lumières colorées. En 1962, il réalise l'hypnotique - et historique - Mur lumière, méduses irisées flottant dans un espace stellaire. L'invention du Lumino en 1968 et celle du Varetra en 1975 préfigurent de quelques décennies bien des produits du design contemporain : ce sont des boîtes à plaques sérigraphiées et à écrans animés par des lampes à variateur, dont le rythme peut être modifié par le propriétaire. Vendu par Philips en France et Clairol aux Etats-Unis, le Lumino devait permettre la démocratisation de l'art tout en ayant un effet apaisant grâce à des teintes douces et des mouvements lents : toujours le rêve de l'action sociale et psychologique de l'art. Jusqu'à sa mort, en 1992, Schöffer lui est demeuré fidèle, dessinant des projets de fontaines et de sculptures musicales."Nicolas Schöffer, ballets de lumières", Espace EDF Electra, 6, rue Récamier, Paris-7e. Du mardi au dimanche de 12 heures à 19 heures. Entrée libre. Jusqu'au 11 septembr
