Procès L'arme du crime: un fromage blanc au parfum d'arsenicDébut du procès hier à Colmar, d'Arnaud Labrell, 32 ans, jugé pour le meurtre de ses parents en octobre 2001. la page 3 de l'acte d'accusation d'Arnaud Labrell devant la cour d'assises du Haut-Rhin, on trouve la recette détaillée du bibalakas , «un plat régional à base de fromage blanc, de ciboulette, d'ail, de poivre et de sel». Préparation dont se régalaient ses parents, Pierre et Gabrielle Labrell. A ces ingrédients traditionnels, leur fils Arnaud est accusé d'avoir ajouté de l'arsenic. Dans le box des accusés, il ne cesse de nier farouchement, moulé dans son pull noir, visage anguleux à la barbe fournie et au regard cerné.Depuis hier, ce jeune homme de 32 ans est jugé à Colmar pour l'empoisonnement avec préméditation de ses parents. Sa mère, 64 ans, est morte dans la nuit du 9 au 10 octobre 2001, quelques heures après avoir dîné de bibalakas. Son père, 66 ans, un commercial à la retraite, est décédé trois jours plus tard. L'analyse des cheveux des victimes a montré que les parents avaient subi, avant l'administration de la dose létale, une intoxication chronique à l'arsenic. Pendant dix mois pour le père, quatre pour la mère.L'avocat général Jacques Nicolle a cherché des traces d'utilisation d'arsenic dans les archives judiciaires. Il y a trouvé «un cas d'accident et une tentative d'empoisonnement sur les quinze dernières années, c'est-à-dire peanuts niveau statistique».A la barre, un gendarme raconte comment l'enquête s'est peu à peu concentrée sur Arnaud Labrell. «Le crime de rôdeur, l'hypothèse accidentelle et le suicide» ont été éliminés, de même que la possible implication de la soeur Florence, qui ne se rendait qu'épisodiquement chez ses parents, à la maison familiale de Thann, dans le Haut-Rhin. Les gendarmes ont conclu que seul Arnaud correspondait au profil de l'empoisonneur des époux Labrell. Pour eux, il s'agissait forcément d'«un membre de leur entourage immédiat matériellement capable de contaminer leur nourriture pendant plusieurs mois».Arnaud était par ailleurs désigné par la rumeur populaire : dans la petite ville, on savait qu'il entretenait de très mauvaises relations avec son père. «Le père Jean Arnold, curé de la paroisse de Thann, célébrant la messe des funérailles des époux Labrell, avait relevé qu'Arnaud Labrell n'avait manifesté aucun signe de souffrance ou d'émotion et ne paraissait nullement abattu par la mort de ses parents», relève l'acte d'accusation.Les deux tiers de l'héritage. Aide-éducateur, et animateur du club d'échecs, Arnaud Labrell avait un appartement à Mulhouse, mais il passait plusieurs nuits par semaine au sous-sol de la maison de Thann, localité plus proche du collège où il travaillait. Le soir où ses parents ont mangé de ce fameux bibalakas, il s'était justement rendu chez eux.Selon Me Moser, avocat des parties civiles et notamment de Florence, le mobile de ce parricide présumé serait «financier» et «affectif». Arnaud Labrell aurait tué ses parents parce qu'ils avaient l'intention de ne plus subvenir à ses besoins et avaient choisi de léguer les deux tiers de l'héritage à sa soeur Florence. Il n'a été mis en examen qu'un an et demi après les faits, au printemps 2003, quand les gendarmes ont appris que des analyses toxicologiques révélaient la présence d'arsenic sur ses vêtements, dans sa voiture et sur des meubles de sa chambre dans la maison familiale.Dans le box, Arnaud se défend pied à pied. Lève les yeux au ciel quand un témoin l'irrite, répète qu'il n'a «jamais touché d'arsenic». Pourtant, fait remarquer la présidente Frédérique Jovet, des traces du poison ont été retrouvées dans ses cheveux. «Je n'ai pas de réponse. Si j'en avais une, je ne serais pas là », s'agace-t-il, de sa voix forte et claire.Deux témoignages. La vie d'Arnaud Labrell, c'est un peu celle de tout le monde. Un enfant membre de la chorale des Petits Chanteurs de Thann, un écolier «pas très scolaire», un adolescent «un peu tête de mule», un jeune homme «antimilitariste primitif» et fumeur de cannabis. Puis, le bac et la fac arrêtée après deux tentatives : histoire et sociologie. Un peu d'intérim, un peu de Secours catholique. Il s'est aperçu ensuite que «l'éveil de l'enfant» l'intéressait.Arnaud Labrell admet que ses relations avec son père, «un sacré bonhomme» qui «ne s'en laissait pas raconter», n'ont pas toujours été faciles. Il a même suggéré aux enquêteurs que son père aurait pu tuer sa mère et laisser des traces sur ses vêtements à lui, pour l'accuser. Mais d'autres éléments l'incriminent. Comme le témoignage de deux infirmières qui l'ont entendu dire à sa mère agonisante : «Ne t'en fais pas, la mauvaise herbe nous enterrera tous.» Ou encore celui de sa soeur : elle n'a pas oublié que son frère s'était demandé comment justifier de son emploi du temps le soir où ses parents avaient mangé le bibalakas. Au moment où les gendarmes, eux, travaillaient encore sur l'hypothèse d'une intoxication alimentaire.Au détenu depuis deux ans à la maison d'arrêt de Mulhouse, la présidente demande comment il s'occupe. Il compte les visites de ses amis : «Il y a eu cent vingt-deux parloirs.» Sinon, il ne fait rien. «Je suis assis sur mon lit, ou couché. J'attends que ça passe.» «Pourquoi ?», questionne la présidente. «Parce que je n'ai rien à faire en prison.» «Vous lisez ?» «Non, parce que j'aime lire. Je ne veux pas prendre d'habitudes agréables dans une cellule où je n'ai rien à faire.» Arnaud Labrell risque la réclusion criminelle à perpétuité. Le verdict est attendu vendredi.
