Annonce La Turquie a engagé des négociations historiques avec l'UE en vue de son adhésion La Turquie a obtenu lundi soir son feu vert pour entamer les négociations avec l'Union européenne. L'accord a été scellé à la dernière minute lorsque l'Autriche a renoncé à son veto contre l'ouverture de négociations entre la Croatie et l'UE. La Croatie a ainsi bénéficié de négociations identiques, après un surprenant revirement du procureur du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie : Carla Del Ponte, qui se disait vendredi encore "déçue" de la collaboration de Zagreb, a assuré lundi à Luxembourg que "depuis maintenant quelques semaines, la Croatie coopérait pleinement" avec le TPI. "C'est véritablement une journée historique pour l'Europe et pour toute la communauté internationale... Nous sommes tous gagnants" : le chef de la diplomatie britannique, Jack Straw, n'a pas caché sa joie après l'accord difficilement arraché en faveur de la Turquie, longtemps bloqué par l'Autriche. "Nous avons franchi un tournant historique", a renchéri son homologue turc Abdullah Gül, arrivé peu après minuit au Luxembourg pour une brève et symbolique cérémonie d'ouverture des pourparlers. M. Gül a fait devant ses homologues des 25 une intervention "très constructive, saluée par des applaudissements", selon un diplomate. "Nous avons été capables de tenir le délai du 3 octobre car j'ai commencé à parler avant minuit au Royaume Uni", a plaisanté Jack Straw, se référant à l'heure anglaise décalée par rapport à celle du continent. Il a souligné que la Turquie avait désormais "une longue route devant elle" d'ici à une entrée effective dans l'UE qui, selon le cadre fixé pour les négociations, n'est pas garantie. "Le processus sera rigoureux et constitue un défi. Mais nous sommes confiants dans votre détermination et nous vous soutiendrons dans vos efforts", a promis le secrétaire au Foreign Office. "Le résultat de la négociation n'est pas connu d'avance", a insisté de son côté le ministre français des affaires étrangères, Philippe Douste-Blazy. "Ce qui est important pour nous est que la perspective d'une adhésion pleine est très claire. Il n'y a pas d'alternative telle qu'un partenariat privilégié", s'est pour sa part réjoui Abdullah Gül. Il a assuré que la Turquie, pays de population musulmane mais au régime strictement laïque, bénéficiant de liens privilégiés avec les républiques turcophones d'Asie centrale et le monde musulman, apporterait sa contribution à l'UE une fois intégrée en son sein. "Quand la Turquie aura rejoint l'UE, tous ces pays se sentiront représentés au sein de l'UE. L'adhésion de la Turquie va apporter d'importantes contributions à l'UE et a une importance stratégique", a-t-il affirmé. INTERVENTION AMÉRICAINE L'ouverture des négociations avec Ankara était une priorité majeure pour la présidence britannique de l'UE, appuyée en sous-main par les Etats-Unis dont la Turquie est un allié clé au sein de l'Otan. La secrétaire d'Etat américaine Condoleezza Rice a elle-même pris son téléphone dimanche et lundi pour inciter M. Gül à accepter les termes proposés par les Européens.La diplomate américaine a notamment souligné lors de son entretien avec Erdogan que le cadre des pourparlers fixé par les Vingt-Cinq ne pourrait le contraindre à renoncer à ses réserves sur la candidature de Chypre à l'Otan, dont la Turquie est l'un des piliers. Condoleezza Rice est intervenue en partie pour prêter main forte à la présidence britannique de l'Union européenne mais aussi pour adresser un signal aux Européens sur l'indépendance de l'Otan vis-à-vis de l'UE, reconnat un haut responsable du département d'Etat. S'exprimant sous le couvert de l'anonymat, un de ses collègues résume la situation : "En gros, nous disons aux Turcs : négociez tout ce que vous pouvez obtenir de l'UE mais ne vous inquiétez pas des conséquences de l'accord sur votre posture à l'Otan, parce que nous ne pensons pas qu'il vous lie les mains." Washington espère que l'intégration européenne d'Ankara inciterait à un rapprochement entre le monde musulman et l'Occident. LE RALLIEMENT DE L'AUTRICHE Le grand dessein du premier ministre Tony Blair a cependant failli buter à Luxembourg sur l'Autriche. Il a fallu à la présidence britannique plus de 24 heures d'âpres tractations pour amener Vienne à se rallier à l'accord que tous ses partenaires étaient disposés à accepter. Le secrétaire au Foreign Office avait mis en garde contre les conséquences "catastrophiques" d'une absence d'unanimité. Un échec des Européens à ouvrir les négociations avec la Turquie aurait plongé l'UE un peu plus profondément dans la crise ouverte par le double non aux référendums français et néerlandais sur la Constitution européenne, et renforcé les tensions avec la Turquie. L'Autriche insistait initialement pour revoir le premier compromis sur l'ouverture des négociations avec Ankara, trouvé en décembre 2004 par l'ensemble des chefs d'Etat et de gouvernement de l'UE, y compris son chancelier Wolfgang Schüssel.Isolée mais sous la pression d'une opinion massivement hostile à une adhésion turque, elle n'a pu obtenir au final qu'une "alternative" soit envisagée, sous la forme d'un "partenariat privilégié". Si les diplomates récusent tout marchandage entre les deux dossiers, Vienne a été encouragé à renoncer à son veto par la perspective de voir l'UE ouvrir, dans la foulée de la Turquie, des négociations d'adhésion avec la Croatie. LONGUES NÉGOCIATIONS EN VUE Les négociations d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne devraient durer une dizaine d'années au moins sans garantie d'entrée effective, et doivent permettre à Ankara de conformer sa législation à l'"acquis communautaire", c'est-à-dire le maquis des règles européennes. Le cadre de négociations adopté lundi par l'UE, sera divisé en 35 chapitres, dont le contenu n'est en réalité pas négociable. De la liberté de circulation des biens et des personnes à la politique étrangère, en passant par la sécurité alimentaire ou l'éducation et la culture, les Turcs devront appliquer les législations communautaires et le rythme des pourparlers dépendra de leur capacité à mettre en oeuvre ces obligations.Les autorités turques pourront toutefois se voir accorder des dérogations et des mesures transitoires "à condition qu'elles soient limitées dans le temps et dans leur importance". Chacun des 35 volets devra être ouvert puis refermé par un vote à l'unanimité des Etats membres, avant un vote final sur l'adhésion éventuelle, également à l'unanimité.Avant le début des discussions proprement dites, la Commission européenne devra faire un passage au crible ( screening) de l'acquis, c'est-à-dire expliquer les législations aux Turcs, évaluer l'état de préparation de la Turquie pour chacun des chapitres et identifier les problèmes possibles.