Accuser La tournée du bonze Nhât Hanh au Vietnam confirme l'ouverture prudente du régime de Hanoï Le régime sud-vietnamien de Saïgon l'avait interdit de séjour dans les années 1960, et les communistes n'ont pas davantage voulu de sa présence. Après trente-neuf ans d'absence, Thich Nhât Hanh, le bonze vietnamien le plus connu en Occident, vient néanmoins de parcourir son pays pendant trois mois. Son message : "Avec la fraternité et la non-discrimination, on peut déjà vivre avec bonheur dans le moment présent", déclare-t-il au Monde. L'opération était très délicate pour ce maître zen, qui prône un "bouddhisme engagé", et sa suite de 200 fidèles ­ parmi lesquels de nombreux novices, nonnes et moines ­ venus du Village des pruniers, sanctuaire bouddhiste fondé en 1982 dans le Bordelais ­ le bonze a ensuite principalement vécu en France. Au Vietnam, le gouvernement ne reconnaît depuis 1981 que l'l'Eglise bouddhiste officielle (EBV). Il a banni l'Eglise bouddhiste unifiée (EBU) ­ congrégation indépendante ­ avec lesquelles ses relations sont exécrables depuis un quart de siècle. Les deux chefs vieillissants de l'EBU, Thich Huyen Quang et Thich Quang Do, sont assignés à résidence depuis longtemps. Nhât Hanh, qui n'appartient ni à l'EBU ni à l'EBV, a pu s'exprimer devant des parterres fournis, au cours d'une tournée observée de près par les services de sécurité. Reçu à Hanoï par le premier ministre Phan Van Khai, il a réclamé le rétablissement du dialogue avec les chefs de l'EBU. Il a prôné l'introduction d'une séparation entre les Eglises et l'Etat, demandant que "les moines ne soient plus invités à devenir des députés, des membres de comités populaires ou du Front de la patrie" (l'organe chargé de contrôler les organisations autorisées). A Hué, le 22 février, dans la célèbre pagode qui jouxte la tour de Thien Mu, Thich Nhât Hanh a pu s'exprimer devant plusieurs milliers de fidèles appartenant aux deux congrégations. "Nous y avons récité ensemble, à ma suggestion et pour la première fois depuis treize ans, les préceptes" bouddhiques, dit-il. Mais les dirigeants de l'EBU ont refusé, malgré son insistance, de le recevoir. Le seul qu'il ait rencontré est Thich Tri Quang, vedette d'un mouvement antigouvernemental dans le Sud dans les années 1960 mais aujourd'hui discret. L'entretien a eu lieu en présence d'un moine de l'Église officielle. Les principaux dirigeants actuels de l'EBU, note Nhât Hanh, sont victimes d'un "manque d'informations". "Ils ne savaient pas ce que nous allions faire au Vietnam et que nous travaillons pour la liberté, la réconciliation et la guérison", dit-il. "MESSAGE D'AMOUR" Le maître zen s'est contenté, pour le reste, de tenir des conférences devant des parterres sélectionnés par les autorités. "Son message d'amour, contre le relâchement des moeurs, sur le respect d'une éthique, contre la corruption ou les drogues, m'a séduit", avoue un membre du Parti communiste vietnamien (PCV) qui a assisté à l'une de ses conférences à Hanoï. Alors qu'il se trouvait en tournée à l'étranger en 1966, Thich Nhât Hanh, aujourd'hui âgé de 79 ans, avait été interdit de séjour dans un Sud-Vietnam en pleine crise. A l'époque, une opposition dite "bouddhiste" avait reçu l'appui d'officiers et les généraux au pouvoir, Nguyên Van Thiêu et Nguyên Cao Ky, redoutaient notamment que les Américains prennent le parti de ces opposants. Voilà longtemps que le vénérable ­ partisan de la paix, de la méditation et, en temps de crise, de la désobéissance civile non-violente ­ frappait à la porte du Vietnam. Après un séjour en Chine, dont le PCV n'a pu prendre que bonne note, ce projet est devenu réalité. Certains écrits de Nhât Hanh, ainsi que ce dernier le souhaitait, ont été diffusés au Vietnam. Puis un visa de trois mois a été accordé au maître zen et à sa suite. Dans l'esprit des dirigeants de Hanoï, il s'agit d'un pas supplémentaire, mais mesuré, d'ouverture, notamment en direction des 2 millions de Vietnamiens d'outre-mer. Au même moment, le général Ky, dernier dirigeant en vie de l'ancien régime de Saïgon, effectuait son troisième séjour au Vietnam. Mais peut-être y a-t-il eu davantage dans le périple du bonze, qui vient de regagner la France. "J'ai, dit-il, semé des graines", notamment celle de la réconciliation.