Cérémonie La mort de Joe traumatise la BelgiqueDix jours après le meurtre de l'adolescent, le pays s'interroge sur la violence ordinaire. «La vie de Jésus valait 30 pièces d'or, celle du jeune assassiné dans la gare centrale valait un MP3», constatait le cardinal Godfried Danneels, primat de Belgique, lors de sa messe de Pâques. Dix jours après le fait divers qui a secoué la Belgique tout entière, l'émotion était toujours palpable dimanche. Pour orner le cercueil lors de l'enterrement, le roi Albert et la reine Paola ont envoyé une couronne de fleurs. Et la foule compacte des 80 000 anonymes, flamands, francophones, immigrés, hommes politiques ou jeunes , venus de toute la Belgique pour défiler en silence dimanche dans les rues de Bruxelles à la mémoire de Joe Van Holsbeeck.Visages. Le 12 avril, le jeune homme de 17 ans, accompagné d'un ami, tombait sous les coups de couteau de deux agresseurs, vraisemblablement d'origine maghrébine, qui tentaient de lui extorquer son lecteur MP3. Cinq coups, dont un mortel, et un « rictus » tracé à la lame sur le visage de l'adolescent. Il est alors 17 heures, heure de pointe. La gare centrale de Bruxelles, à deux pas de la fameuse Grand Place, est comble. Les assassins réussissent à prendre la fuite, sous l'oeil des caméras de surveillance. Mais leurs visages sont désormais relayés par la police et les médias. Dans tout le pays, la chasse à l'homme est lancée.Pour calmer les esprits, le chef du gouvernement, Guy Verhofstadt, a annoncé qu'il allait accorder «plus d'attention à la criminalité des jeunes en général et à l'extorsion en particulier», tout en appelant chacun à contribuer à l'arrestation des meurtriers.Mais l'émotion et l'indignation restent vives. Comme en 1996, lors de l'affaire Dutroux, la mort de Joe sert de déclencheur. Depuis le meurtre, les journaux du royaume recensent la recrudescence et l'extrême banalisation de la violence armée : rien que le week-end dernier, un jeune homme a été blessé au ventre par une lame lors d'une rixe à Anvers, un autre a été grièvement blessé par balle, un père et son fils ont frappé un autre homme d'un coup de couteau dans une bagarre de café à Namur, tandis que les forces de police interpellaient dimanche un jeune homme de 16 ans qui se baladait en plein Bruxelles avec une machette de 60 cm. «Un week-end tristement ordinaire», concluait hier le quotidien la Libre Belgique.Ce journal consacre quotidiennement plusieurs pages à l'assassinat de Joe, et s'interroge : Faut-il plus de sécurité ? C'est ce que suggère le père du copain de Joe dans une lettre publiée dans plusieurs grands journaux belges. Comme lui, ils sont nombreux à dénoncer l'inflation des tâches administratives qui entravent le travail de terrain des policiers, le manque d'agents de proximité, les menaces permanentes qui planent sur les adolescents à la sortie des lycées.Malgré les appels réitérés de la famille de la victime à ne pas faire d'amalgame entre les voyous et les personnes d'origine nord-africaine, Fouad Ahidar, un député régional bruxellois du parti de centre gauche Spirit, lui-même d'origine nord-africaine, condamne à grands cris «un meurtre puant le racisme antiblanc». Tandis que la communauté musulmane se divise : l'Union des mosquées de Bruxelles demande aux agresseurs de Joe de se rendre à la justice, à la grande indignation de l'Exécutif des musulmans de Belgique (EMB), qui y voit une stigmatisation implicite de la communauté.«Exclusion». «Il y a trois niveaux de lecture possibles de cet assassinat, analyse le sociologue et professeur émérite à l'Université libre de Belgique (ULB) Claude Javeau. Il y a tout d'abord le crime lui-même, cruel ; il y a ensuite le spectacle d'un drame qui se joue en plein jour, au vu et au su de tous, dans un lieu public très fréquenté ;et enfin il y a sans doute, à l'origine du drame, l'exclusion des immigrés, et le vol emblématique d'un objet de la culture moderne, dont une partie des jeunes, notamment immigrés, sont exclus.»«Malgré un fort quota d'élus issus de l'immigration, la discrimination à l'embauche et le repli identitaire persistent, constate pour sa part le professeur au département information et communication de l'ULB, Jean-Jacques Jespers. Si le gouvernement ne fait rien, la situation va se dégrader. Et la seule mobilisation citoyenne ne permettra malheureusement sans doute pas de résoudre ce problème. Dans quelques jours ou quelques semaines, le soufflé va retomber. Et il n'y aura guère plus que l'extrême droite belge pour récupérer les bénéfices inespérés de ce vide sécuritaire, juste avant les élections communales d'octobre prochain.»
