Annonce La fuite d'un chef de guerre entrave l'adhésion de la Croatie à l'UE Le report de l'ouverture des négociations d'adhésion de la Croatie à l'Union européenne apparaît désormais quasi inéluctable, malgré le baroud d'honneur du premier ministre croate, Ivo Sanader, pour plaider la cause de son pays mardi à Bruxelles. Zagreb de notre envoyé spécial En Croatie, l'opinion publique ne comprend pas pourquoi l'Union européenne subordonne l'ouverture des négociations d'adhésion à l'arrestation du général Ante Gotovina et à son transfert devant le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) de La Haye, où il est accusé de crimes de guerre commis en 1995 lors de la reconquête par les Croates de la Krajina. Le Conseil européen avait donné son feu vert en décembre 2004 pour que ces négociations commencent officiellement le 17 mars, "pour autant que la Croatie coopère pleinement" avec le TPIY. Lundi 14 mars, le premier ministre luxembourgeois, Jean-Claude Juncker, président en exercice du Conseil européen, a jugé que ce n'était pas le cas et déçu les derniers espoirs des Croates. "Les négociations commenceront le 17 mars, à condition que le général Gotovina soit transféré. Et cela doit être fait", a affirmé M. Juncker à Bruxelles devant des parlementaires européens. A Paris, le ministre français des affaires étrangères, Michel Barnier, a tenu ce lundi des propos similaires. Tout en estimant que la Croatie était "sur le bon chemin", M. Barnier a rappelé qu'une coopération totale était nécessaire avec le Tribunal pénal international. "C'est une condition importante sur laquelle personne ne peut transiger avant que les négociations commencent", a-t-il dit. La décision d'ouvrir ou non des négociations sera prise mercredi 16 mars par les ministres des affaires étrangères des Vingt-Cinq. A Zagreb, on souligne que la Croatie a répondu positivement à 625 des 626 demandes du tribunal. La punir pour ne pas avoir été capable de localiser le général Gotovina serait injuste, estiment ceux qui croient à l'Europe et s'inquiètent des retards que risquent de prendre les négociations. "Le choix ne doit pas être entre l'Europe et Gotovina, soulignait la semaine dernière le président croate, Stipe Mesic, recevant une délégation du club français Grande Europe. La grande majorité de la population est pour l'adhésion. J'espère que Bruxelles en tiendra compte." Selon Milorad Pupovac, chef de la minorité serbe, deux erreurs de méthode ont été commises : la Croatie a eu tort de se focaliser sur la date du 17 mars et l'Union européenne sur le cas du général Gotovina. Le danger, ajoute-t-il, est que le blocage, s'il persiste, favorise les forces les plus anti-européennes, qui ne veulent pas des réformes auxquelles la perspective d'entrer dans l'Union contraint la Croatie. M. Pupovac n'est pas le seul à redouter la montée d'une vague d'euroscepticisme, alors même que les sondages montrent un net recul, en quelques mois, du sentiment pro-européen. La Croatie a-t-elle vraiment tout fait pour retrouver la trace du général Gotovina ? "Nous pouvons démontrer que nous avons fait le maximum", affirme la nouvelle ministre des affaires étrangères, Kolinda Grabar-Kiratovic. Le porte-parole du ministère de l'intérieur, Zlatko Mehun, explique que, depuis l'émission d'un mandat d'arrêt par le tribunal de Zagreb, en 2001, la police a multiplié les opérations, promettant même une importante récompense à toute personne qui apporterait une information pouvant conduire au général Gotovina. Dragutin Cestar, chef de la police criminelle, estime que la police a fait et continue de faire son travail sans la moindre complaisance à l'égard du fugitif. Il suffit de parcourir la chronologie présentée par Zlatko Mehun pour constater que les recherches sérieuses n'ont vraiment commencé qu'en 2003, deux ans après l'émission du mandat d'arrêt. Le président Mesic reconnaît lui-même que la Croatie n'a pas livré le général Gotovina quand elle aurait pu le faire. "Plusieurs occasions ont été manquées", note Milorad Pupovac. Certains secteurs de l'Etat, en particulier les services spéciaux, sont accusés d'avoir protégé le fugitif. Selon Jacques Wunenburger, chef de la délégation de la Commission européenne à Zagreb, le changement de premier ministre, en décembre 2003, a donné un coup d'accélérateur aux recherches, ce qui a conduit Carla Del Ponte, procureure du Tribunal de La Haye, à porter un jugement positif et la Commission, suivie par le Conseil, à rendre un avis favorable. Mais, une fois ces résultats acquis, les efforts se sont relâchés dans la seconde moitié de l'année 2004. Il a fallu attendre ces dernières semaines, indique-t-on à l'ambassade de France pour que, sous la double pression de Bruxelles et de La Haye, de nouvelles mesures soient prises par Zagreb, comme le gel des avoirs de Gotovina, et qu'un langage plus ferme soit tenu. N'est-il pas trop tard pour que la date du 17 mars soit respectée ? "Il ne faut pas faire de cette date un fétiche", affirme le président Mesic. Selon le directeur du département Europe au ministère des affaires étrangères, Zoran Bosnjak, l'essentiel est que la Croatie soit en mesure de participer aux institutions européennes en 2009, c'est-à-dire lors du renouvellement du Parlement et de la Commission. Même volonté d'apaisement du côté de l'Union. En cas de report, dit l'ambassadeur de France en Croatie, François Saint-Paul, il faudra indiquer des perspectives, fixer un échéancier, "surtout ne pas décourager ceux qui sont en faveur de l'Union européenne". En attendant, les Croates se plaignent d'être mal aimés. Certains vont jusqu'à imaginer que la Croatie est victime d'un complot ourdi par les Etats-Unis et les Britanniques, qui ne lui auraient pas pardonné son opposition à la guerre en Irak. Thomas Ferenczi Pas de violations graves des droits de l'homme La Croatie n'est entrée au Conseil de l'Europe qu'en 1996, et n'a ratifié la Convention européenne des droits de l'homme qu'en 1997, si bien que la Cour européenne des droits de l'homme, à Strasbourg, n'a enregistré qu'un faible nombre de requêtes - 770 en 2004. Elle a rendu 56 arrêts, qui condamnent ce pays pour des problèmes de durée de procédure, d'accès à un tribunal ou de droit de propriété. La Cour a jugé irrecevable, en mai 2000, une requête de Mladen Naletilic, dit "Tuta", un parrain de la mafia de Mostar, arrêté à Split en 1997, et incarcéré au pénitencier de Zagreb. Il avait protesté contre la décision, prise le 1er septembre 1999 par le tribunal de Zagreb, puis confirmée par la Cour suprême et la Cour constitutionnelle, de le livrer au Tribunal pénal International pour l'ex-Yougoslavie (TPIY). Le TPIY le poursuivait pour crimes contre l'humanité, infractions graves aux conventions de Genève et violations des lois ou coutumes de la guerre. Dix-sept chefs d'accusation ont été retenus à son encontre, pour sa participation à la purification ethnique de Mostar, en Bosnie-Herzégovine, entre 1993 et 1995. Selon l'acte d'accusation, Mladen Naletilic commandait le bataillon KB, composé de 200 à 300 anciens condamnés en tous genres, et responsable de meurtres et de l'expulsion par la contrainte et la torture de dizaines de milliers de musulmans. - (Corresp.)